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Cambodge : comment le modèle Hun Sen fait face à l’opposition

  • laurademeulenaere
  • 19 mars 2023
  • 7 min de lecture

Le Cambodge a récemment condamné l’opposant politique Kem Sokha à 27 ans de prison pour trahison. Plusieurs ONG et pays ont dénoncé cette condamnation qui illustre les limites au pluralisme et aux droits de l’Homme dans le pays.


Un cas parmi d’autres


« Il est très inquiétant que le gouvernement royal du Cambodge continue de réprimer les opposants politiques et les médias indépendants à l’approche des élections de juillet » a déclaré le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Volker Türk suite à l’issue du procès de Kem Sokha. Cet opposant de 69 ans et cofondateur du Parti du salut national du Cambodge (PSNC, parti d’opposition aujourd’hui dissous) a été condamné à 27 ans de prison le vendredi 3 mars. Les autorités l’avaient arrêté en septembre 2017 et l’accusent d’avoir voulu, avec l’aide des Etats-Unis, renverser le gouvernement cambodgien de Hun Sen, Premier ministre au pouvoir depuis 1985.


Les Etats-Unis ont dénoncé cette condamnation. L’ambassadeur américain au Cambodge a évoqué « une erreur judiciaire » tandis que le secrétaire d’Etat Anthony Blinken a parlé d’une procédure « motivée par des raisons politiques ». « C’est la démocratie cambodgienne qui touche le fond » selon Phil Robertson, de l’ONG Human Rights Watch. Pour le directeur régional adjoint d’Amnesty International Ming Yu Hah, « Le système judiciaire cambodgien a une fois de plus fait preuve d’un manque d’indépendance ahurissant ».



Des élections sans suspense


« Ce verdict s’inscrit dans une série de mesures restrictives des libertés publiques notamment à l’encontre de médias indépendants et de membres de l’opposition et de la société civile à l’approche des élections législatives de juillet 2023. » peut-on lire sur le site France Diplomatie, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Cette affirmation laisse peu de place au doute, d’autant plus que Kem Sokha est désormais inéligible et ne peut plus voter lors d’élections. Son parti avait déjà été banni des élections de 2018.


Le procès de Kem Sokha n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit en effet dans une série de répressions des voix dissidentes. Alors que certains opposants ont fui le pays, des dizaines d’entre eux ont été condamnés l’an passé à des peines de prison à l’occasion de deux procès de masse.


La répression de Hun Sen ne s’arrête pas là. Il s’est également attaqué aux organes de presse critiques à son égard et aux mouvements civils. En février, le premier ministre a fait fermer VOD (« La Voix de la démocratie »), l’un des derniers médias encore indépendants du Cambodge. Avant les élections législatives de juillet 2018, Hun Sen avait adopté une méthode similaire : interdiction de dizaines de radios et journaux, épuration des équipes de rédaction, poursuite des journalistes. Il a également utilisé la crise du Covid-19 pour faire passer une loi sur l’état d’urgence. Celle-ci lui permet de censurer tout contenu journalistique avec lequel il est en désaccord.


De nombreuses ONG ont dénoncé la situation des droits de l’Homme dans le pays


Le modèle chinois


Les médias sont un exemple de la façon dont le Cambodge s’inspire de la Chine. Sur ce point, le but du Premier ministre est désormais de s’attaquer au numérique en mettant en place un système similaire à la grande muraille numérique. L’exécutif cherche par ce moyen à contrôler toutes les communications et à bloquer certains sites avec un point d’accès unique au réseau par lequel devront obligatoirement passer les internautes cambodgiens.


Cet intérêt pour la Chine ne se limite pas à l’autoritarisme et rejoint l’aspect économique. Le directeur général de l’institut des relations internationales de l’Académie royale du Cambodge, Kin Phea, l’a clairement expliqué au Monde en 2022 : « Sans la Chine, nous ne pourrions pas nous développer aussi vite. On ne peut pas attendre. L’Occident parle sans cesse des droits de l’homme, de la démocratie, mais on roule sur des routes chinoises ! »


La capitale Phnom Penh fait en effet partie depuis 2016 des « nouvelles routes de la soie » chinoises, le projet de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine et l’Europe. Elle bénéficie à ce titre de nombreux investissements chinois qui financent des dizaines de chantiers d’infrastructures. Un nouvel aéroport proche de la capitale devrait voir le jour en 2025 et devrait permettre d’accueillir 50 millions de visiteurs par an. D’autres villes se développent grâce à l’aide chinoise dont la « zone économique spéciale » de Sihanoukville, basée sur le modèle de Shenzhen, ou encore Dara Sakor, destinée à devenir une ville touristique.

La rencontre entre le Premier ministre cambodgien Hun Sen (à gauche) et le Président chinois Xi Jinping (à droite) en 2019


Les investisseurs étrangers au Cambodge sont donc Chinois pour la plupart, et le pays a pris des mesures pour en attirer de nouveaux. A notamment été mis en place le système des visas en or. Celui-ci permet à tous ceux qui investissent plus de 100 000 dollars dans le pays d’obtenir des visas illimités pendant 10 ans et à terme le passeport cambodgien.


La Chine trouve son intérêt dans le développement économique du Cambodge. Cela lui permet de faire du pays un allié de premier plan en Asie du Sud-Est, région stratégique essentielle dans le contexte des conflits en mer de Chine du Sud. C’est ensuite un moyen de concurrencer la présence militaire américaine dans la zone. Cette alliance peut potentiellement permettre de développer de nouveaux partenariats militaires. Il n’existe cependant aucune preuve de déploiement de moyens militaires chinois au Cambodge.


Un développement limité


Ces exemples montrent aussi la vitesse du développement économique du Cambodge, qui bénéficie de bien d’autres atouts. Parmi eux, on peut citer la jeunesse de sa population, avec un habitant sur deux âgé de moins de 22 ans, l’expansion de sa classe moyenne ou encore ses progrès dans de nombreux secteurs dont l’agriculture, la construction, le textile, les services et les nouvelles technologies. Ils ont permis à l’économie cambodgienne de connaître une croissance de 7% en moyenne de 2000 à 2019 et de résister à la crise sanitaire. Comme indiqué précédemment, celle-ci bénéficie du dynamisme de l’Asie avec des investissements venant bien sûr de Chine, mais aussi de pays comme la Corée du Sud et le Japon.


Ces progrès constituent l’une des clés du maintien au pouvoir de Hun Sen. L’économie est bien l’élément le plus important pour la population. Les 80% de fermiers pratiquant une agriculture de subsistance qui la composent regardent avant tout la quantité et la qualité des biens qu’ils reçoivent, plutôt que la démocratie.


Il ne faut toutefois pas idéaliser la situation économique des Cambodgiens. Celle-ci reste modeste puisque le PIB moyen par habitant est d’environ 4700 dollars par an selon les données de la Banque mondiale. La pandémie, les inondations de 2020, la vulnérabilité du Cambodge au changement climatique et l’inflation ont renforcé leurs difficultés économiques. Cela fait craindre une hausse de la malnutrition chez les plus jeunes, qui concernait déjà deux enfants de moins de cinq ans sur trois en 2014. Malgré une diversification de l’économie cambodgienne ces dernières années, celle-ci reste fragile face aux aléas internationaux en raison de sa dépendance aux importations et de sa forte intégration dans les chaînes de valeur mondiale, comme l’indique le rapport de la Direction générale du Trésor française.


Quel futur pour le pouvoir en place ?


Il est donc légitime de savoir si le modèle Hun Sen peut durer. Au niveau politique, le dictateur cambodgien laissera un héritage considérable. Il est actuellement le Premier ministre en place depuis le plus longtemps dans le monde. Les trois quarts des Cambodgiens sont nés après son accession au pouvoir, en 1985. Hun Sen reste donc le visage de la politique cambodgienne et est toujours bien vu de la population du pays. Celle-ci est satisfaite de sa gestion de la pandémie de Covid-19, de ses rencontres avec le Président américain Joe Biden ou encore de la direction qu’a pris l’économie avec des taux de croissance solides attendus pour les prochaines années.


Il a décidé de choisir son fils, Hun Manet, comme son successeur. Cet homme de 44 ans, passé par l’Académie militaire américaine, l’Université de New-York et l’Université de Bristol, est général et commandant de l’Armée royale du Cambodge. Certains se préparent déjà à le voir prendre la succession de son père. C’est le cas de commandants des armées australienne et néo-zélandaise qui ont prévu de le rencontrer en octobre.


Hun Manet, fils du Premier ministre Hun Sen et commandant de l’Armée royale du Cambodge (Tang Chhin Sothy / AFP via Getty Images)


Reste à savoir ce que prévoit Hun Manet pour le futur. Si sa formation laisse espérer à l’Occident une ouverture vers l’Ouest, la situation restera dans tous les cas complexe. Selon le chercheur associé au groupe Asie du CSIS (Center for Strategic and International Studies) Charles Dunst, « le fait est que si Hun Manet arrive au pouvoir, il l’aura fait d’une façon fondamentalement non démocratique, rendant difficile pour les Etats-Unis une reconstruction des liens avec un Cambodge dirigé par Hun Manet ». Ce problème serait également renforcé par la question du non-respect des droits humains au Cambodge.


Charles Dunst ajoute que « son manque de charisme et de légitimité politique comparé à son père, qui affirme avoir délivré le Cambodge de l’ère des Khmers rouges et avoir apporté une relative prospérité au pays, le conduiront sûrement vers des questions qui lui assureront le soutien populaire : le développement économique et l’apport de biens publics. Cela le guidera probablement d’abord vers la Chine, qui a depuis longtemps fourni de tels bénéfices au gouvernement de Hun Sen en l’échange de soutien géopolitique et autres ». Cela reste cependant une hypothèse parmi d’autres : un rapport équilibré entre Pékin et Washington, un rapprochement de partenaires des Etats-Unis comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud, une collaboration avec des pays comme la Malaisie ou la Thaïlande sont aussi envisageables.


Andrea Perez, étudiant en 2ème année à Sciences Po Lille


Sources :


 
 
 

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