Que retenir de la visite d’Emmanuel Macron en Chine ?
- laurademeulenaere
- 17 avr. 2023
- 6 min de lecture
Emmanuel Macron a effectué la semaine dernière une visite d’Etat en Chine avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Le Président français a surtout fait réagir suite à ses déclarations au sujet de la position des Etats-Unis sur Taiwan.
« Une erreur »
« Un désastre diplomatique pour l’Europe » selon le député allemand (CDU) Norbert Röttgen, « en train de lécher le cul de la Chine » pour Donald Trump, « un timing malencontreux »… Ce sont les déclarations d’Emmanuel Macron dans Les Echos qui ont fait le plus réagir lors de sa visite d’Etat en Chine. Le Président français a déclaré que « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »
Il a ajouté que l’Europe risquait « de se retrouver entraîné dans des crises qui ne sont pas les nôtres, ce qui nous empêcherait de construire notre autonomie stratégique. Le paradoxe serait que nous nous mettions à suivre la politique américaine, par une sorte de réflexe de panique ». Ces quelques phrases ont vite provoqué un tollé international en Occident, alors même que la Chine a mené ces derniers jours des exercices militaires autour de Taïwan. Le pays dirigé par Xi Jinping a déployé trois navires de guerre et un hélicoptère tueur de sous-marin dans la zone. Il souhaite par cette voie protester contre la visite de la présidente taiwanaise Tsai Ing-wen en Californie du 5 avril.
Les Etats-Unis n’ont bien sûr pas apprécié cette prise de position, qui laisse entendre la volonté d’incarner une troisième voie entre les positions chinoise et américaine sur la question de Taïwan. Le sénateur républicain de Floride Marco Rubio a per exemple déclaré dans une vidéo sur Twitter que « Nous avons besoin de savoir si Macron parle pour Macron, ou s’il parle pour l’Europe. Nous avons besoin de le savoir rapidement, parce que la Chine est très enthousiaste à propos de ce qu’il a dit. »
Plusieurs experts ont aussi pointé du doigt la maladresse d’Emmanuel Macron. Mutjaba Rahman, analyste à l’Institut européen de la London School of Economics, explique par exemple dans Le Monde que « Le timing est malencontreux. Faire ces remarques alors que les manœuvres chinoises encerclent Taïwan – et juste après la visite d’Etat en Chine – est une erreur. Cela va être interprété comme un geste d’apaisement envers Pékin et un feu vert à l’agression chinoise. » Le principal problème est donc sur la forme, d’autant plus que cette polémique montre un signal de division en Europe, ce qui fait le jeu de la Chine.
L’Elysée affirme de son côté que le Président français a évoqué la question de Taïwan avec son homologue chinois. Il lui aurait dit lors de leur entretien privé de « faire attention au risque d’incompréhension » qui pourrait mener à une « escalade ».
Un objectif en partie atteint
Cette polémique permet toutefois d’illustrer l’un des objectifs de la visite d’Emmanuel Macron en Chine : donner une dimension européenne aux ambitions internationales de la France. Le Président français était pour cela accompagné de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Dans son entretien aux Echos, il a ainsi déclaré que « L’autonomie stratégique doit être le combat de l’Europe. Nous ne voulons pas dépendre des autres sur les sujets critiques. »
Le chercheur associé à l’IRIS Emmanuel Lincot explique que ce duo « aura fait passer un message essentiel aux Chinois : n’allez pas trop loin dans votre rapprochement avec les Russes. Une manière d’offrir en quelque sorte une assurance vie vis-à-vis de Washington en continuant à échanger avec Pékin, c’est-à-dire en refusant de souscrire à un découplage économique que les Américains appellent de leurs vœux ».
Dans la déclaration commune délivrée à l’issue de la visite française, les présidents français et chinois s’engagent à « soutenir tout effort en faveur du retour de la paix en Ukraine ». Ce document comprend 51 points et ne mentionne ni la Russie, ni une condamnation de l’invasion. Ils ont également appelé à des pourparlers de paix et rejeté tout recours à l’arme nucléaire. Xi Jinping a ajouté qu’il appellerait le Président ukrainien Volodymyr Zelensky au moment qu’il aura lui-même choisi.
« Les deux parties soutiennent tout effort en faveur du retour de la paix en Ukraine sur la base du droit international et des buts et principes de la Charte des Nations Unies. » - Dixième point de la Déclaration conjointe de la France et de la Chine publiée le 7 avril
Cela peut sembler minimaliste, alors que la guerre en Ukraine était l’un des principaux thèmes à l’agenda des discussions entre Paris et Pékin. Comme le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez avant eux, Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen ne sont pas parvenus à obtenir davantage d’engagement de la part de la Chine.
Le sinologue Antoine Bondaz explique toutefois à France 24 que ce n’est pas surprenant : « Il fallait avoir des attentes réalistes et donc limitées. La Chine n’a fait que répéter sa position, sans offrir le moindre changement sur sa ligne. […] Mais l’objectif n’était pas tant de savoir ce que la Chine allait dire que de faire passer des messages. Il fallait notamment parvenir à dissuader Pékin de livrer des armes à la Russie tout en affichant l’unité de l’Union européenne. » Cet objectif a été en partie atteint. Xi Jinping a assuré que la guerre en Ukraine n’était pas la sienne mais il ne s’est pas engagé à ne pas envoyer d’armes à la Russie.
Reconnecter les deux pays
La visite d’Emmanuel Macron en Chine avait aussi pour vocation de relancer les relations entre les deux Etats. Un an avant la célébration des 60 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre la France du Général de Gaulle et la République populaire de Chine, les deux pays cherchaient à renouer avec leur collaboration dans de nombreux domaines.
La France devait également défendre ses propres intérêts. Le Président était ainsi accompagné d’une cinquantaine de dirigeants de grands groupes industriels présents en Chine. Ils ont signé plusieurs accords économiques, ce qui constitue une réussite. Parmi eux, on peut citer ceux d’EDF, L’Oréal, Suez ou encore Airbus. La branche Helicopters du groupe a conclu un contrat de 50 exemplaires de son nouvel hélicoptère H160 avec le loueur chinois GDAT. Le château de Versailles et la Cité interdite ont enfin conclu un partenariat culturel dans l’optique d’une exposition à Pékin l’an prochain.
Un bilan mitigé
S’il faut dresser un bilan, cette visite a montré des signes de réussite et d’échec. Le positif se situe dans le réengagement du dialogue entre la France et la Chine, les contrats économiques et certains messages envoyés par le Président français. Son passage devant les étudiants de l’université Sun Yat-sen à Guangzhou, au cours duquel il a prononcé une ode au savoir et à la liberté de la recherche, a par exemple été vu positivement. Il permet de porter un message d’ouverture auprès de la jeunesse chinoise.
Cependant, au-delà du peu d’avancées obtenues sur le plan international, de nombreux analystes ont critiqué la communication d’Emmanuel Macron. En cause : la durée de son discours qui était deux fois plus long que celui de Xi Jinping, son attitude sur certaines images ou encore la retenue avec laquelle il s’est adressé au Président chinois. Ce dernier élément risque de mal passer auprès de certains partenaires de la France car il est en décalage avec la fermeté de son discours aux pays africains au sujet de la Russie, martelé au cours de sa dernière tournée.
Emmanuel Macron et Xi Jinping ont tout de même su trouver un accord sur leurs prochains rendez-vous. Après plus de trois ans sans tête à tête, le Président français devrait à nouveau se rendre en Chine l’an prochain et son homologue chinois devrait venir en France.
Sources utilisées :
Emmanuel Macron en Chine : « Le but était de faire passer des messages, le bilan est mitigé », France 24
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