Les relations Japon-Corée du Sud sous l’angle de la pop culture
- laurademeulenaere
- 12 mars 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mars 2023
Les cultures japonaise et sud-coréenne ont connu une intense diffusion à travers le monde ces dernières années. Cette vague est bien sûr passée par les deux pays, et est à la fois synonyme de rejet et d’ouverture.
Polémiques et manifestations
« Où est allé mon poisson, la mer de l’Est, la mer de l’Ouest, où pourrait être mon poisson ? » : ces quelques paroles de la chanson « Super Tuna » (2021) de l’artiste sud-coréen Jin, membre du groupe BTS, peuvent sembler anecdotiques. Si le sont à première vue, elles ont en réalité déclenché une intense polémique. La raison ? L’utilisation du terme de « mer de l’Est » dans la chanson pour désigner la mer située entre la péninsule coréenne et l’archipel japonais. Le Japon conteste ce nom et considère que celui-ci devrait être « mer du Japon » tandis que la Corée du Sud soutient l’emploi du nom « mer de l’Est ». Aucun accord n’a été conclu entre les deux pays, qui ont chacun demandé à l’Organisation hydrographique internationale de reconnaître leurs noms comme l’officiel.
Cette polémique n’est pas un cas isolé. De nombreuses autres œuvres de pop culture coréenne ou japonaise ont montré la persistance des tensions entre les deux pays. En 2005, la publication du manga japonais Manga Kenkanryu avait déjà provoqué la colère des Sud-Coréens. L’œuvre suit un étudiant japonais qui devient critique de la Corée du Sud après avoir découvert un scandale autour de l’équipe coréenne de football lors de la Coupe du
Monde 2002. A l’université, il entre alors dans un comité d’investigation s’intéressant à l’hostilité historique entre le Japon et la Corée du Sud. Le manga a été traduit La vague de haine de la Corée en français et est rempli de critiques autour de la langue, de la culture ou encore des immigrés sud-coréens. Il a suscité de vives critiques dans la population sud-coréenne, mais aussi au sein d’une partie de la population japonaise. Le caricaturiste coréen Yang Byeong-seol’s a répondu à ce manga avec une œuvre similaire sur le Japon, intitulée La vague de haine du Japon.

Couverture de Manga Kenkanryu (2005)
D’autres exemples témoignent de ces tensions comme la manifestation de 6000 personnes au Japon en 2010 contre la chaîne Fuji TV, accusée de diffuser trop de K-dramas ou encore les remarques publiées par le journal Yomiuri Shinbun en 2011 sur la nécessité pour les artistes japonais de se rendre à l’étranger et de faire face aux artistes sud-coréens.
Des hauts et des bas
Ces exemples peuvent être vus comme des signes de rejet entre les deux pays, mais ce n'est pas ce que laissent entendre les échanges culturels entre les deux pays, qui ne cessent de croître. À l’occasion d’un sommet trilatéral en 2019, les ministres chinois, japonais et sud-coréen de la culture et du tourisme s’étaient mis d’accord pour renforcer leurs échanges. On peut citer comme preuve de cela le Kohaku Uta Gassen 2022, événement ayant lieu à l’occasion du 31 décembre et produit par le groupe audiovisuel public japonais NHK. Cette édition a vu le retour de la K-pop à l’évènement avec les groupes Le Sserafim, Ive et Twice.
En réalité, le succès du hallyu (la vague coréenne, terme utilisé pour désigner la popularité de la pop culture sud-coréenne à travers l’Asie et d’autres parties du monde) a connu des hauts et des bas au Japon. C’est aussi le cas du « Cool Japan », l’équivalent du hallyu pour le Japon, et cela trouve son explication dans les tensions mémorielles.
Ces échanges culturels entre les deux pays sont des symboles de la normalisation de la relation entre les deux pays. Au niveau diplomatique, celle-ci a repris dès 1965, mais les importations et exportations de leurs produits culturels n’ont débuté qu’en 1998. Cela est lié à la décision du Premier ministre japonais Obuchi Keizo et du Président coréen de l’époque Kim Dae-jung de construire une relation « orientée vers le XXIe siècle ». C’est à partir de ce moment-là que les échanges culturels Japon-Corée du Sud ont explosé.
La pop culture sud-coréenne est tout d’abord arrivée chez le voisin japonais avec les K-dramas puis les groupes de K-pop à partir de 2002, avec l’album Listen to My Heart de la chanteuse Boa. Le Japon est depuis devenu le plus grand marché étranger pour la K-pop, devant la Chine, les Etats-Unis et Taïwan. Les webtoons (bandes-dessinées numériques coréennes) se sont fortement diffusées. Récemment, le film Parasite de Bong Joon-ho a connu un grand succès au Japon, tout comme la série de Netflix Squid Game. En janvier 2021, une exposition consacrée à la série sud-coréenne Crash Landing on You s’était tenue à Tokyo. On parle de « troisième vague coréenne » et cela peut avoir des conséquences positives sur les relations entre les deux pays. Les chiffres pré-pandémie indiquaient une augmentation du nombre d’étudiants japonais se rendant en Corée du Sud chaque année.
« La culture coréenne n’est plus un boom ou une sous-culture au Japon. Elle est une tendance dominante. » - Kyoko Hamahira, professionnelle de la radio à Kobe, au quotidien sud-coréen Korea Times
Cette tendance se confirme dans le sens inverse. Les créateurs sud-coréens étaient déjà inspirés par la culture japonaise dans les années 1990 et, ces dernières années, plusieurs artistes japonais se sont déplacés en Corée du Sud pour percer dans la K-pop, à l’image de la chanteuse Yukika, installée à Séoul. Le groupe formé de japonaises NiziU a été le plus grand succès de l’année 2020 en Corée du Sud. Il est le produit de l’agence sud-coréenne JYP Entertainment, également productrice de Twice.
Mais la rivalité entre les deux pays s’incarne aussi dans ce domaine pour savoir quel pays assumera la place la plus importante dans la production culturelle asiatique. Cela s’observe par exemple dans la guerre entre les mangas japonais d’un côté et les webtoons sud-coréens de l’autre.
Les tensions autour de la colonisation japonaise
Pour comprendre ces tensions entre les deux pays, il faut revenir à la période de colonisation japonaise de la péninsule coréenne, entre 1910 et 1945. Parmi les éléments de tension autour de cette période figure celui des « femmes de réconforts », des esclaves sexuelles de l’armée impériale japonaise qui étaient essentiellement coréennes. La question a resurgi au début des années 1990 (soit quelques années après les premières élections démocratiques sud-coréennes de 1987) lorsqu’elles ont évoqué leur condition passée. Elle cristallise depuis les tensions mémorielles.
La question des « travailleurs forcés » assignés aux chantiers des grands industriels de guerre japonais revient sur la table depuis 2009. A cette date, le Japon avait proposé de classer certains sites datant de son industrialisation au patrimoine mondial de l’UNESCO. En 2015, le pays s’était engagé à mentionner la présence de travailleurs forcés sur ces sites et en 2018, la Cour suprême sud-coréenne a condamné Nippon Steel, Sumitomo Metals puis Mitsubishi Heavy Industries à verser des indemnités à leurs anciens employés.
Des efforts sont donc menés pour que le Japon reconnaisse sa responsabilité, mais pas suffisamment selon la Corée du Sud. Cela est incarné par la problématique des manuels scolaires japonais, sélectionnés après une procédure d’homologation du ministère de l’Éducation, et objet de critiques. Si les positions officielles sur l’Histoire du pays respectent « la sensibilité des pays voisins », on constate une certaine méconnaissance de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au Japon.
Entre efforts diplomatiques et anti-japonisme
Sur le terrain diplomatique, des actions ont été menées entre le Japon et la Corée du Sud. En 2015, le Japon a accepté de verser de nouvelles indemnités aux anciennes « femmes de réconfort » par le biais d’un fond public (comme voulu par la Corée du Sud). Cela n’a cependant pas suffi à apaiser la relation puisqu’en 2018, le Président sud-coréen Moon Jae-in a déclaré que cet accord avait été noué sans concertation suffisante des victimes. De même, les excuses formulées par le Japon en 1965 et en 1998 n’ont pas effacé le ressenti sud-coréen sur la période de la colonisation.
Les discours nationaux sont très différents dans les deux pays. D’un côté, le Japon, au sein duquel les conservateurs insistent toutefois sur leur dimension de victime depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cherche à donner satisfaction à la Corée du Sud.
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De l’autre côté, le sentiment national sud-coréen est marqué par une forte dimension anti-japonaise. Cela s’explique par l’espoir d’une partie de la Corée d’une réunification entre le Nord et le Sud et permet d’insister sur un élément d’unité. La critique du Japon est même un élément utilisé par les présidents pour renforcer leur base, comme l’a fait Lee Myung-bak en août 2012 lorsqu’il se rend sur les îles Dokdo-Takishima (revendiquées par le Japon) peu avant les élections de février 2013, ensuite remportées par son parti.

Le Président sud-coréen Lee Myung-bak en visite dans les îles Dokdo-Takeshima en 2012 (YONHAP/REUTERS)
Signe d’espoir ou objet de tensions ?
La question est donc celle de savoir si le regain des échanges culturels entre le Japon et la Corée du Sud permet de calmer les tensions. Les sondages d’opinion donnent des réponses qui vont dans plusieurs sens. L’un d’entre eux, publié par Genron GPO en 2021, indique qu’environ 81% des Sud-coréens et 53% des Japonais sont pessimistes quant à la relation entre leurs pays et 63% des Sud-coréens et 50% des Japonais ont une image négative de l’autre pays. La Corée du Sud est, avec la Chine, le pays ayant l’image la plus négative du Japon. La situation est toutefois différente chez les jeunes puisque 77,5% des moins de 40 ans indiquent avoir une bonne image de la Corée du Sud.
Il est important de préciser que l’engagement politique des jeunes au Japon est le plus faible de l’Histoire. La population japonaise est ainsi divisée entre une jeunesse sensible à la culture sud-coréenne (dont la diffusion est facilitée par les réseaux sociaux) et une autre partie plus touchée par les discours nationaux.
Si la pop culture contribue donc à changer la perception que les deux pays ont de l’autre, cela reste à confirmer au niveau politique, surtout dans un contexte de menaces communes venant de la Chine et de la Corée du Nord. Un premier pas a peut-être été fait dans ce sens il y a quelques jours, le 1er mars 2023. A l’occasion de la commémoration d’une date-clé de l’occupation japonaise, le 1er mars 1919, le Président sud-coréen Yoon Suk-yeol a déclaré : « Aujourd’hui, plus d’un siècle après le mouvement du 1er mars, le Japon s’est transformé d’agresseur militariste du passé, en partenaire avec lequel nous partageons les mêmes valeurs universelles. » Ces quelques mots ont suscité des critiques de la part de l’opposition mais permettent au moins d’ouvrir la voie à une réconciliation.
Andrea Perez, étudiant en 2ème année à Sciences Po Lille
Sources utilisées :
Les relations entre le Japon et la Corée du Sud : le poids de l’histoire, Guilbourg Delamotte, L’Académie des sciences morales et politiques éd., Annuaire français de relations internationales. 2021.
Japon-Corée du Sud : des blessures non cicatrisées , France Culture (Cultures Monde)
Quand la K-Pop et les séries rapprochent Japonais et Coréens du Sud, Le Monde
China, Japan, South Korea to step up cultural ties despite rows, Reuters
How Has the « Korean Wave” Impacted Japan-South Korea Relations, The Diplomat
Face aux menaces, géopolitiques, la Corée du Sud et le Japon dépassent leurs querelles historiques, France Inter
Des tensions entre le Japon et la Corée du Sud ravivées par une chanson de Kpop, RTBF
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