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Japon : la fin du pacifisme d’Etat

  • laurademeulenaere
  • 15 janv. 2023
  • 7 min de lecture

Après sa victoire aux élections législatives en juillet dernier, le Premier ministre japonais Fumio Kishida annonçait sa volonté de renforcer la défense du pays. Cet objectif était déjà celui de Shinzo Abe. Il s'inscrit dans un long processus de remilitarisation et semble aujourd'hui atteint.


Le projet du PLD


« Le Japon n’est pas et ne sera jamais une nation de second rang » affirmait Shinzo Abe à Washington le 22 février 2013. Presque 10 ans après, l’héritage de l’ancien Premier ministre décédé cette année se poursuit, porté par Fumio Kishida. Ce dernier vient ainsi de parachever, ce vendredi 16 décembre 2022, une réforme proposée par Abe. Celle-ci consiste en une modification de l’article 9 de la Constitution japonaise qui dispose que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation et à la menace ou à l’utilisation de la force comme moyen de résoudre les différends internationaux. »


L’objectif de cette réforme est de consacrer la constitutionnalité des Forces d’autodéfense japonaises (FAD), les forces militaires du pays. Shinzo Abe défendait les revendications de souveraineté militaire du Japon portées par son parti, le PLD (parti libéral-démocrate, conservateurs) depuis sa création en 1955. Cela permettrait au pays de sortir de son traditionnel rôle d’autodéfense et de s’engager sur d’autres terrains.


Les difficultés rencontrées par Kishida et son parti ont cependant été multiples. La société japonaise est en effet polarisée et reste pour sa grande majorité pacifiste et donc défiante vis-à-vis de la remilitarisation du pays. La réforme constitutionnelle de l’article 9 ne correspond ainsi pas à une préoccupation majeure de la population. Celle-ci s’était d’ailleurs opposée à l’amendement de la Constitution proposé par le Premier ministre Ichirô Hatoyama en 1957. Outre la division de la population, la gauche japonaise se pose, elle aussi, comme une opposante à cette mesure, la Constitution étant perçue comme une garantie de la culture démocratique et pacifiste du pays. Cet antimilitarisme est tel que l’on désigne souvent le texte sous le titre de Constitution de la Paix.


Un texte en débat


Pour comprendre ce désir de puissance du PLD, il est nécessaire de revenir en 1945. Le Japon sort alors vaincu de la Seconde Guerre mondiale à la suite des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Il entre dans une période d’occupation américaine qui ne prendra officiellement fin qu’en 1952. Ce sont donc les autorités des Etats-Unis qui rédigent la Constitution du pays, obtenant force de loi en 1947.


Comme l’explique John Nilsson-Wright, professeur de politique japonaise et de relations internationales à l’Université de Cambridge, à BBC News Mundo, « Cette Constitution n’a pas été amendée ou amendée une seule fois depuis son introduction et est considérée par de nombreux conservateurs au Japon, à tort ou à raison, comme quelque chose d’étrange, qui ne sert pas de document souverain d’une nation souveraine. » Deux visions de la Constitution s’opposent. D’un côté, la gauche met en valeur le pacifisme de la Constitution. Cependant, comme le souligne John Nilsson-Wright, « la question de l’amendement est donc pour beaucoup à droite au Japon une question en suspens de la Seconde Guerre mondiale ». La situation de l’amendement s’avère tendancieuse car, comme le souligne le doctorant en Droit International à la Graduate School of International Cooperation Studies de Kobe, William Letrone, « la réfutation constitutionnelle du droit de se doter de « tout autre potentiel de guerre » sous-entendrait que l’archipel ne puisse même pas assurer sa propre défense ». La droite s’attaque ainsi au travers de ce texte à ce qu’elle perçoit comme une humiliation liée au pacifisme et à la tutelle militaire américaine.


Malgré ces critiques, la Constitution est toujours en vigueur. Ceci n’a toutefois pas empêché l’évolution du sens de l’article 9. Au départ conçu comme un moyen d’éviter la remilitarisation du pays et un retour à l’impérialisme, il a depuis été réinterprété face aux mutations du contexte international, mettant fin au pacifisme d’Etat.


Un processus en cours depuis les années 1990


Au lendemain du conflit mondial, le Japon se focalise sur sa reconstruction et son développement économique avec l’aide des Etats-Unis. Ce n‘est que dans les années 50 qu’il obtient un feu vert des Américains pour la création d’une réserve nationale de police. Dans un contexte post-guerre de Corée (1950-1953) et de diffusion du communisme en Asie, le Japon demeure restreint dans ses capacités mais se voit gagner en marge de manœuvre.


Mais dès les années 1990 et la fin de l’URSS, le pays cherche à faire face à l’émergence de nouveaux acteurs en Asie orientale dont la Chine et la Corée du Nord. La croissance de la première et la menace nucléaire de la seconde inquiètent le PLD et l’opinion publique japonaise. Cette inquiétude est toujours d’actualité comme le montrent les essais de missiles nord-coréens. Le survol du Japon pour la première fois en 2017 provoque ainsi une alerte d’évacuation et ravive les craintes d’un Japon pourtant pacifiste. Le lancement de missiles balistiques par la Chine à la suite de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan cet été a également fait réagir le PLD, soutenant les questionnements quant au maintien de l’antimilitarisme. L’ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Taro Kono, avait ainsi déclaré pour cette occasion que « Cela montre que nous serons affectés si quoi que ce soit arrive à Taïwan. » C’est désormais la puissance chinoise qui s’impose comme première menace pour la sécurité nationale du Japon.


Les compétences des FAD ont été élargies et leur autonomie renforcée pour faire face à ces défis. Si elles représentent actuellement 1% du PIB du Japon en termes de dépenses et déploient 270 000 agents, la récente réforme prévoit une refonte de ce système. Ainsi, le pays qui se classait 5ème dans le classement des plus grandes puissances militaires en 2022, derrière les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde et devant la Corée du Sud, la France et le Royaume-Uni a annoncé sa volonté de doubler son budget militaire. Les 2% du PIB qui y seront à présent consacrés serviront à moderniser l’armée, à développer l’équipement et les capacités en guerre cybernétique tout en maintenant les effectifs à leur seuil actuel.


C’est donc bien un Japon se réarmant qui se positionne sur la scène internationale. A l’occasion d’un discours lors de la revue de la flotte internationale japonaise en novembre dernier, Fumio Kishida déclarait : « Nous devons nous préparer à une ère où des acteurs émergent, désobéissant aux règles et utilisant la force ou les menaces pour détruire la paix et la sécurité d’autres nations. » Le Premier ministre a ainsi dénoncé la Russie et sa guerre menée en Ukraine depuis février dernier. A ces « menaces » s’ajoutent la difficulté posée par les difficiles relations avec Séoul et certains Etats voisins en raison du passé impérialiste du Japon.


Remilitarisation ou respect du droit onusien ?


L’autodéfense s’est donc élargie depuis plusieurs années avec la création du ministère de la Défense en 2007 puis d’un Conseil de sécurité nationale au sein du bureau du Premier ministre en 2013 chargé de la coordination des politiques de sécurité. Durant son deuxième mandat (2014-2020), Shinzo Abe avait levé l’embargo sur les exportations, autorisant ainsi son pays à la vente d’armes. La loi sur les Forces d’autodéfense japonaises de 2015 donne une interprétation de l’article 9 de la Constitution lui permettant de s’engager dans un conflit pour soutenir un allié sans que leurs intérêts ne soient menacés. Le Japon cherche enfin à construire un réseau de partenaires stratégiques. Il a signé un pacte de sécurité avec l’Australie en octobre dernier. Il tisse aussi des liens avec ses voisins comme avec le traité de 2014 signé avec les Etats-Unis et la Corée.


Le Japon conserve toutefois une sphère d’action limitée. Le pays a gagné en autonomie mais n’est en théorie autorisé à faire usage de la force qu’en cas de légitime défense car il est soumis au respect de la Charte des Nations Unies. Selon l’article 51 de ce texte, « aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » Les FAD, officiellement une force d’autodéfense sont une armée dans les faits. Le PLD a pour but de normaliser cette situation avec la révision de l’article 9.


Plus qu’un hypothétique Rubicon qui serait franchi, le réarmement se place comme la continuité d’un processus. Si la réforme rompt certes un certain équilibre, cette rupture n’est pas franche et massive. Un principe de non-prolifération a certes été transgressé mais uniquement dans l’intention de préserver la politique de pacifisme. Ce n’est donc pas le retour d’un Japon belliciste auquel l’on assiste mais plutôt l’adaptation du Japon à une nouvelle ère des relations internationale en Asie.


L’homme de la situation ?


Ce succès emporté par Kishida vient interroger sur le futur de l’archipel nippon sous sa conduite. Malgré les difficultés auxquelles il a dû faire face, Kishida est parvenu à imposer sa réforme là où Shinzo Abe fut défait. L’ancien Premier ministre suscitait en effet des résistances car il était accusé de promouvoir le révisionnisme historique et était considéré comme plus belliqueux. Kishida a au contraire su se présenter de façon plus rassurante pour la population.


Le Premier ministre a déjà décidé de passer à l’action en promettant le renforcement de la capacité navale japonaise, « le renforcement de la capacité de défense antimissiles et l’amélioration des conditions de travail et des compensations ». Le pacifisme d’Etat semble avoir été abandonné si l’on en croit ses récentes déclarations. « Nous allons accélérer les discussions réalistes sur ce qui est nécessaire pour défendre notre peuple en gardant toutes les options sur la table. » déclarait Kishida en novembre dernier. La transition, si elle se concrétise, ferait du Japon le troisième pays le plus dépensier dans le domaine militaire après les Etats-Unis et la Chine.


Toutefois, l’ambition nippone d’atteindre ce seuil d’ici 2027 semble précaire. La réforme a ainsi à peine eu le temps d’être promulguée avant de faire l’objet de critiques de la part de l’opposition et de certaines voix au sein de des FAD. Ces dernières reprochent en effet au gouvernement de privilégier le développement des technologies au détriment du personnel militaire. Le nouveau budget consacre en effet l’intégralité de ses efforts à acquérir de nouveaux navires, missiles ou outils de guerre technologique, censés requérir moins de troupes, mais ne s’intéresse pas au cas du personnel. En effet, alors que celui-ci subit un déclin constant au cours de la décade, les enrôlements reculant de près de 26% depuis 2010, l’Etat-major japonais estime requérir 60 000 soldats supplémentaires.


Cette réforme qui enterre donc la conception du pacifisme jusqu’alors en vigueur entérine un renouveau de la conjoncture internationale. Ce réarmement japonais présentement amorcé se pose ainsi comme représentatif de cette transition, les difficultés rencontrés lors de cette modernisation venant plus que jamais raviver les débats sur les enjeux entourant Taïwan.



Andrea Perez (avec Oscar Durand et Gaspard Dujardin),

étudiants en 2ème année à Sciences Po Lille

 
 
 

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