Russie : lire contre la guerre, lire contre le régime
- laurademeulenaere
- 5 mars 2023
- 13 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mars 2023
Le livre. Symbole de la liberté, celle de s’exprimer, celle de voyager à travers les mots. Symbole du témoignage, pour montrer, révéler, dénoncer. Les mots comme la résistance la plus pacifique mais souvent la plus retentissante. Comment le livre, petit objet aux allures souvent inoffensives, peut-il devenir un allié pour se battre au nom des libertés, défier les régimes, franchir murs et barrières ? En Russie, la littérature est frappée par l’idée de résistance, des premières années de l’Union Soviétique jusqu’au contexte actuel de guerre en Ukraine.
Mais la Russie et le livre, c’est une histoire contrariée. Non que le pays ait à rougir de sa littérature. Bon nombre de ses magistraux ouvrages font partie des classiques. Mais, quand le livre vient contrarier la politique, l’histoire se complique.. Victime de la censure des régimes, le livre est un moyen pacifique de résistance contre l’oppression. Dans la Russie actuelle, engluée dans la guerre contre l’Ukraine, empêtrée dans la propagande,le livre redevient cet outil de résistance, pour dépasser le mur du discours officiel et les frontières du nationalisme belliqueux.
Guerre en Ukraine, loi “anti-propagande LGBT” … En Russie, certains livres (re)font de la résistance
Depuis l’invasion de l’Ukraine, un livre tire son épingle du jeu en Russie : 1984 de l’écrivain et journaliste britannique George Orwell. Écrit en 1949, cet ouvrage devenu un classique relate l’histoire de Winston, ouvrier dans une société totalitaire dirigée par la mystérieuse figure de Big Brother. Ce roman est devenu une dénonciation des régimes totalitaires notamment en s’inspirant des expériences soviétique et nazie mais représente aussi une critique de la surveillance de masse et de la désinformation. En 2022, le roman 1984 est devenu un phénomène littéraire mais aussi un enjeu politique en Russie. Rien qu’au cours de l’année 2022 on estimait déjà que les ventes du roman avaient progressé de 30% pour les librairies physiques et de 75% pour les ventes en ligne sur un an pour un total de 1,8 millions d'exemplaires vendus depuis le début du conflit. Et dans la seconde partie de l’année, ces ventes records ne se sont pas démenties. Mais alors, que cherchent les Russes dans le livre anti-totalitarisme d’Orwell ?
Le Kremlin use et abuse de propagande et de désinformation. Suite à une loi du 4 mars 2022, les médias étrangers sont sur le qui-vive : cette loi menace de 15 ans de prison toute chaîne étrangère qui diffuseraient des “informations mensongères sur l’armée” russe. Dans la foulée, le Kremlin a restreint l’accès aux réseaux sociaux occidentaux. Les applications de VPN (réseau privé virtuel) ont alors été prises d’assaut avec plus de 1,3 million de téléchargements en l’espace de quelques jours en mars 2022. A cette loi s’ajoute la désinformation organisée par les médias d’Etat sur les principaux plateaux de télévision russes. Dans un tel contexte de muselage de l’information, des mots comme “novlangue”, cette nouvelle langue inventée par l’Etat totalitaire dans 1984 pour diminuer les capacités de penser des individus, ou la “police de la pensée” qui, toujours dans 1984, traque les individus et surtout leurs pensées “déviantes”, trouvent de larges échos dans la population russe.
Mais surtout, Orwell s’est largement inspiré de l’URSS, particulièrement sous l’époque stalinienne. Or, la question de l’éventuelle filiation entre Staline et Poutine, la réflexion sur l’usage de la mémoire de la période soviétique dans la politique poutiniste (sujet qui a été abordé dans un précédent article) et le discours prônant effectivement un expansionnisme vers l’Ukraine qui n’est pas sans rappeler l’aspect impérialiste de l’URSS sur les Républiques Socialistes facilitent les comparaisons entre la Russie en guerre et l’URSS stalinienne. A l’heure où le fantôme de l’URSS semble resurgir aux yeux de la société russe, le roman 1984 apparaît comme taillé sur mesure pour espérer s’échapper de la chape de plomb de la guerre et des discours officiels. “La guerre c’est la paix”, déclarait le Ministère de la Paix dans 1984. Une petite phrase qui résonne parfaitement avec le discours officiel d’une Russie qui serait agressée par l’Occident.
Mais, en Russie, le livre n’est pas qu’un outil contre la désinformation sur la guerre en Ukraine. L’état du monde de l’édition et du marché du livre témoigne des changements politiques qui bousculent plus largement la société russe de l’intérieur. Le 5 décembre 2022, Vladimir Poutine a signé une loi interdisant “la propagande LGBT” dans le pays, visant ainsi les libraires, l’édition et, plus généralement, le monde de la culture. Une infraction à cette loi est passible d’une amende de 10 millions de roubles soit environ 150 000 euros. Cette loi intervient dans un contexte de virage ultra-conservateur de la Douma. En effet, les députés n’hésitent plus à durcir les législations en vigueur, notamment celle luttant contre “la promotion des relations sexuelles non traditionnelles” depuis 2013.
Plusieurs livres en Russie mettant en scène des personnages aux “relations sexuelles non traditionnelles” sont visés par cette censure indirecte. Effectivement, la loi n’interdit pas ces livres en soi mais, en s’attaquant à leur contenu, elle pousse les libraires à les retirer de leurs étagères. La maison d’édition PopCornBooks, qui publie majoritairement des ouvrages traitant de l’homosexualité, est ainsi dans le viseur du pouvoir russe, surtout après le succès du best seller paru en été 2022, Un été en cravate de pionniers, qui relate l'histoire d'amour entre deux jeunes hommes qui se rencontrent dans un camp de jeunesse sous l'URSS, avec 300 000 exemplaires vendus. Or, cette maison d’édition est américaine. Ainsi, indirectement, cette loi cherche aussi à empêcher la parution de romans étrangers en Russie, toujours selon le discours de lutte contre Occident et son modèle de société.
L’historicité d’un moyen de résistance
"[...] Nous sommes si accoutumés au mensonge que parfois nous n'avons plus le souci de la moindre vraisemblance. Nous entraînons dans le mensonge les écrivains eux-mêmes, qui se voient obligés de dire le contraire de la vérité, de mentir selon une discipline supérieure, comme on dit..." Cette apostrophe a été lancée au cours d'une assemblée de l'Union des Écrivains de l'URSS., en janvier 1968, par l'écrivain dissident Grigori Svirski. Sous l’URSS, l’écrivain a été celui qui s’est opposé à l'obscurité du mensonge de la propagande, qui a cherché à apporter la liberté aux individus par la connaissance et la vérité. Historiquement, la Russie, lors de la période soviétique, s’est constituée une véritable tradition littéraire vectrice de résistance à l’URSS.
Ainsi, le livre représente une double résistance. Bien sûr, la littérature permet une résistance par la dénonciation directe. Il s’agit sans doute de la forme la plus radicale de la résistance littéraire. Les auteurs, souvent en exil, prennent le risque de décrire la réalité politique, sociale, économique du pays, ici l’URSS. Ces auteurs qui ont eu recours à la littérature du témoignage et de la dénonciation sont nombreux. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Soljenitsyne dont l’ouvrage est souvent considéré comme la première brèche dans un rideau de fer que le monde perçoit comme opaque. Messager de l’expérience personnelle, le livre, chez Soljénitsyne, est un outil de révélation par le vécu, dans un pays maître dans la mise en scène et la propagande. C’est ce qu’on appelle le “tamizdat”, une littérature dissidente anti-Union Soviétique publiée exclusivement à l’étranger par des écrivains en exil. Aujourd’hui, on pense notamment au très transgressif Vladimir Sorokine, exilé à Berlin. Citons également Dmitry Glukhovsky, véritable maître de la dystopie russe, toujours exilé en Europe, qui continue son œuvre littéraire de résistance.
Le livre peut aussi être une résistance insidieuse, feutrée. Beaucoup moins éclatante que le récit d’un Soljénitsyne, cette littérature est un moyen de résilience pour ceux qui restent au pays. C’est cette forme de résistance qui est aujourd’hui à l'œuvre en Russie : les Russes se précipitent sur des ouvrages qui interrogent de façon subtile les idéaux de guerre et le système de surveillance et de désinformation, comme 1984. C’est une résistance qui doit avant tout libérer les prisonniers de l’intérieur, ceux privés de la véritable information. Cette résistance littéraire de l’intérieur se concrétise par le “samiztat”, un véritable réseau de circulation clandestin d’écrits dissidents. C’est une résistance littéraire qui s’appuie donc sur l’intime, le caché et, par conséquent, la pensée. Pour Sartre, lire est un moyen de découvrir le monde. En effet, il écrit: " c'est dans les livres que j'ai rencontré l'univers : assimilé, classé, étiqueté, pensé". On peut penser que, grâce à cette découverte du monde, Jean Paul Sartre se forge un jugement, une capacité à analyser. Et par conséquent une liberté de penser. Penser est l’acte de résistance suprême, il en est aussi le dernier possible. Gardons en tête le personnage de Winston dans 1984 qui ne peut qu’écrire son journal pour tenter de lutter contre le pouvoir. Le livre est un objet de l’intime, ce qui est encore plus vrai pour le journal ou même le carnet de bord. Quand Winston est démasqué, les autorités pratiquent sur lui le fameux bourrage de crâne : Winston ne doit pas seulement cesser d’écrire ce qu’il pense, il doit cesser de penser ce qu’il pense. Il existe donc une corrélation certaine entre écriture et pensée. Ainsi, parce qu’il favorise la diffusion de représentations, d’idées, de valeurs, le livre participe pleinement à ce que le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci nommait l’hégémonie culturelle, concept sur lequel nous reviendrons.
Le livre a joué un rôle important dans l’opposition à l’URSS. Il s’est développé tout au long de cette période un véritable genre de science fiction soviétique. Ce genre consistait à inventer des mondes dystopiques inspirés du régime soviétique sans toutefois en reprendre les éléments de façon directe (par exemple la “police de la pensée” remplace le NKVD qui chassait les pensées dissidentes) afin de critiquer indirectement l’URSS. La science-fiction soviétique est devenue, au fil de la période de l’URSS, une véritable tradition littéraire. Citons en exemple le roman Nous autres d’Evgueni Zamiatine en 1920 soit en pleine période de guerre civile et, bien plus tard, le roman Stalker d’Arcadi et Boris Strougatski en 1972 qui représentait un monde futuriste composé de zones mystérieuses contrôlées par l’armée. Ces “zones” étaient une subtile métaphore des goulags. Orwell, bien que britannique, s’est lui-même inscrit dans ce genre littéraire et dans cette technique d’écriture reposant sur la science-fiction et les métaphores, afin de supposer plutôt que de montrer frontalement la réalité du régime.
Comme une sorte de réflexe, en replongeant dans la dystopie orwellienne, les Russes cherchent à réactiver toute une tradition littéraire dont l’objectif était la critique d’un régime totalitaire. Deux conclusions peuvent être tirées de cette réaction. D’abord, elle ravive la question d’une certaine continuité entre l’URSS et la Russie de Poutine. Ensuite, elle oblige à se demander si la Fédération de Russie ne prend pas la voie d’une certaine forme de totalitarisme, question au centre des débats entre politistes.. Cette question revient de plus en plus chez les spécialistes, tout en utilisant avec précaution le concept complexe de totalitarisme.
Notons au passage que le livre est à la fois production - de la part d’un écrivain - et réception - par un auteur. Les travaux historiques se concentrent en grande majorité sur la production littéraire comme nous l’avons démontré précédemment, en s’arrêtant sur les écrivains qui ont dénoncé le régime et la traduction littéraire de ces dénonciations. Cependant, il existe peu de travaux, pour ne pas dire aucun, sur les lecteurs en URSS. Difficile donc de savoir comment certains ouvrages étaient perçus de l’intérieur, notamment en raison de la censure, ce qui explique l’absence de ces travaux. Toutefois, malgré la censure, la notion d'agentivité (“agency” en anglais) permet de montrer aujourd’hui que les individus disposent toujours d’une marge de manœuvre malgré les contraintes. Le samizdat est un exemple de l’existence de ces marges de manœuvre. L’étude de la réception par les lecteurs d’oeuvres littéraires s’opposant au régime se révèle donc bien pertinente. Cette réception revêt un double enjeu. D’abord sociologique : “Irréductible à l'intention de son auteur, le sens d'une œuvre tient en partie aux interprétations et appropriations qui en sont faites par les lecteurs.” écrit Gisèle Sapiro. Puis un enjeu intime dans le sens où la lecture est un acte individuel, solitaire, ce qui favorise la production d’émotions.
La question de la réception de ces écrits dissidents revient sur le devant de la scène, dans l’actuelle Russie, en pleine guerre contre l’Ukraine. Au point de pouvoir presque parler d’un “samizdat 2.0”. En effet, Internet constitue une ressource bien plus difficile à contrôler pour le pouvoir. Le site ROAR permet ainsi d’héberger des écrivains russophones opposés au conflit. Néanmoins là encore, difficile de mesurer et d’étudier les effets de réception de leurs écrits en Russie. S’il n’existe pas encore d’études sur la réception de ces écrits chez les Russes aujourd’hui, on peut déjà avancer l’idée que ces textes sont à la fois l’objet d'interprétations par leurs lecteurs, interprétations qui peuvent se comprendre par une sociologie de la réception et, en même temps, le vecteur de représentations affectives et émotives du conflit en Ukraine (impression de dégoût, compassion pour les Ukrainiens).
Le livre, enjeu de lutte pour l’hégémonie culturelle en Russie
Si le livre peut devenir un outil de résistance, c’est parce qu’il est avant tout l’objet de la lutte pour l’hégémonie culturelle. Effectivement, les régimes totalitaires ne sous-estiment pas la puissance idéologique du livre comme vecteur d’idées. La relation entre régime politique et littérature n’est donc pas que négative, autrement dit, ne passe pas uniquement par la censure. Bien au contraire, certains régimes se réapproprient le livre pour diffuser leur idéologie officielle. Il ne faut pas oublier qu’un régime totalitaire cherche à créer “l’Homme nouveau”, ce qui passe par une lutte pour l’hégémonie culturelle, par exemple, par les camps de rééducation, l’école et donc aussi les livres. Les exemples historiques sont nombreux à travers le monde : Le Petit Livre Rouge de Mao en République Populaire de Chine, Mein Kampf sous le Troisième Reich … La valeur éducative du livre est largement connue des régimes totalitaires.
En Russie, le pouvoir politique privilégie le moyen de la censure. Cette dernière censure est largement motivée par l’idée d’une guerre culturelle, idéologique, pour ne pas dire civilisationnelle. Lors du vote de la loi “anti-propagande LGBT”, le président de la Douma, Viatcheslav Volodine a tenu des propos parfaitement explicites: "Cette décision protégera nos enfants et l'avenir du pays de l'obscurité répandue par les États-Unis et les États européens. Nous avons nos propres traditions et valeurs. Ne nous imposez pas des valeurs étrangères. Vous avez détruit les vôtres, nous verrons comment tout cela se termine mais c'est définitivement dit, parce que c'est Sodome. Il n'y a pas d'autre façon de le dire, et les États-Unis sont devenus le centre de cette Sodome dans le monde." La censure apparaît comme un rempart, une protection à un autre modèle.
Cependant, la relation entre politique et littérature n’est pas qu’une relation négative, c’est-à-dire reposant sur la censure et le rejet de cette littérature. Les pouvoirs politiques n’hésitent pas à faire passer le livre d’ennemi à instrument du régime. Ainsi, la Russie, contrairement à la Biélorussie, n’interdit pas la vente de 1984 de George Orwell. Le régime russe n’applique pas la censure non par bonté mais bien par stratégie, toujours dans le contexte de lutte idéologique.
En outre, le régime cherche largement à tirer parti de l’engouement pour ce roman dystopique en inversant l'interprétation du récit. Anatoli Wasserman, député du parti Russie unie - parti de Vladimir Poutine, a par exemple déclaré que dans 1984, Orwell ne faisait que décrire son expérience à la BBC afin, notamment, de montrer le despotisme du modèle occidental et de discréditer ce dernier. Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, un rôle-clé dans la communication en période de guerre en Ukraine, a déclaré lors d'une conférence de presse que le roman décrivait la manière dont le libéralisme conduirait le monde à sa perte. Elle a également ajouté que l’idée d’une description de l’URSS dans cette dystopie était totalement “fake”.
Autre exemple de l’utilisation politique du livre par le régime, le 13 décembre 2022, Vladimir Poutine a demandé à son gouvernement de prendre des mesures visant à populariser “les héros de l’histoire et du folklore russe conformes aux valeurs traditionnelles”. La littérature jeunesse est déjà encadrée par plusieurs lois. Notons particulièrement le décret n°400 du président poutine “Sur la stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie” datant du 2 juillet 2021 qui définit ces valeurs comme “la vie, la dignité, les droits et libertés de l’Homme, le patriotisme, le sens civique, le service de la Patrie et la responsabilité envers son Destin”. D’une manière générale, la littérature jeunesse est un moyen pour le pouvoir en place d’inculquer aux jeunes l’idée selon laquelle la Russie a été le pays qui a sauvé le monde du nazime. Cela nécessite donc de gommer les points obscurs du rôle joué par l’URSS lors de la “Grande Guerre Patriotique”: pacte Molotov-Ribbentrop, erreurs des dirigeants soviétiques notamment en raison de certaines pertes humaines qui auraient pu être évitées sans erreur de commandement). Ces faits historiques sont considérés par le pouvoir russe comme des falsifications de l'Histoire, poursuivies par la loi fédérale n°278-FZ du 1er juillet 2021.
Toutefois, pas besoin de retourner à la période soviétique pour trouver la censure. Dans l’actuelle Russie, le sort du roman L’Arbre de Noel d’armoise, écrit par Olga Kolpakova et publié en 2014, illustre parfaitement l’emprise du pouvoir politique sur l’édition et la littérature jeunesse. En 2019, le roman jeunesse remporte le prix Piotr Erchov, attribué à des ouvrages destinés à la jeunesse, dans la catégorie «meilleure œuvre patriotique pour la jeunesse». Mais le sort de ce livre bascule en été 2022. En effet, Ivan Popp, maître de conférences à l'Université pédagogique de l'Oural, expertise le livre à la demande du gouvernement de la région de Sverdlovsk. Le chercheur en conclut que le roman «déforme les faits historiques, spécule et invente des légendes» et «suivant la tendance libérale européenne, compare l'Union soviétique avec l'Allemagne fasciste […], falsifie les faits historiques et discrédite les dirigeants et l'histoire» russes. S’ensuit une réaction politique. Svetlana Outchaïkina, ministre de la Culture de la région de Sverdlovsk, s'est appuyée sur cette analyse pour exiger le retrait du livre des bibliothèques pour enfants dans une circulaire confidentielle néanmoins. L’exemple de la trajectoire de ce roman jeunesse, de la reconnaissance au retrait des étagères, témoigne du mouvement de durcissement idéologique du régime. Surtout, il montre que le livre subit les aléas du politique et qu’il représente un enjeu idéologique aux yeux des régimes.
Finalement, le succès de 1984 en Russie depuis l’invasion de l’Ukraine est représentatif de la situation vécue par la population russe, soumise à la désinformation et à la propagande. Plus largement, l’état du monde de l’édition en Russie est un prisme de lecture de la situation politique que traverse le pays. A l’heure d’Internet, il est intéressant de noter que le livre demeure un rempart contre la brutalité d’un régime. Lire n’arrête pas une guerre, ne renverse pas un régime mais, dans des situations de contrainte, cet acte permet à l’individu d’apprécier son agentivité, ses marges de manoeuvre limitées et donc, de refuser cette situation de contrainte à son échelle individuelle, au même titre que la musique, le cinéma ou la peinture.
Clémence Delhaye, étudiante en 2ème année à Sciences Po Lille
Sources :
ANGENOT Marc et ROBIN Régine,« La sociologie de la littérature : un historique », réédition sur le site des ressources Socius.
CHUMAROVA Natalia, Etats utopiques et dystopiques de la science-fiction en URSS : entre dogmes et liberté d’expression”, Revue Cultural Express, Numéro “Etats et empires de l’imaginaire”.
DEPRETTO Catherine, « L’histoire de la littérature russe du xxe siècle : un état des lieux », Revue des études slaves, XCIII-2-3, 2022, 317-329.
FEUILLEBOIS Victoire, « 1984 » de George Orwell : quel miroir pour la Russie de l’ère Poutine ?, The Conversation, 23 juin 2022
MANDRAUD Isabelle, Dans la revue en ligne ROAR, le cri de rage de la dissidence russe, Le Monde, 16 juin 2022
POSPIELOVSKY D. Gosizdat to Samizdat and Tamizdat, Pages 44-62, Canadian Slavonic Papers, Revue Canadienne des Slavistes, Volume 20, 1978.
TRONCHET Sylvie, “Loi réprimant la propagande LGBT en Russie : une première maison d’édition poursuivie”, FranceInfo, 18 janvier 2023
“Vladimir Sorokine, dissident d’une Russie dystopique”, Courrier International, 28 mai 2022
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