Corée du Nord : réel pouvoir et fausse menace
- Andrea Perez
- 16 févr. 2023
- 8 min de lecture
L’armée de la Corée du Nord a récemment annoncé vouloir étendre et intensifier ses exercices militaires en vue de « la préparation à la guerre ». Kim Jong-un a également dévoilé de nouveaux armements à l’occasion d’un défilé militaire.
Une démonstration de force
Le 8 février 2023 était une date importante pour la Corée du Nord. Il s’agissait du 75ème anniversaire de la fondation des forces armées du pays. Pour l’occasion a eu lieu une gigantesque parade nocturne dont les images ont été diffusées par la presse officielle. Elle avait lieu sur la place Kim Il-sung, fondateur de la Corée du Nord et grand-père de Kim Jong-un. Ce dernier a ainsi pu se mettre en scène avec ses généraux, marcher sur un tapis rouge, inspecter et saluer des rangs de soldats.
Cette parade a aussi permis à Pyongyang d’exhiber ses armements et plus spécifiquement onze missiles de longue portée. Parmi eux, on retrouve le Hwasong-17, le plus gros ICBM (missile intercontinental) du pays. Les médias officiels ont parlé du défilé comme d’une « unité d’opération nucléaire tactique », incarnation des « puissantes capacités nucléaires de dissuasion et de contre-attaque » dont dispose la Corée du Nord.
Au vu des images, le pays semble avoir élargi son arsenal militaire avec l’équipement en carburant solide des nouveaux missiles intercontinentaux. Cela constitue une évolution importante car la Corée du Nord ne disposait jusque-là que de missiles à propulsion liquide. Ceux-ci nécessitent un temps de préparation et sont donc plus facilement détectables par l’ennemi. Les missiles intercontinentaux disposent d’un délai plus faible entre la décision de lancement et le tir.
Un message au monde extérieur
Kim Jong-un était bien sûr présent pour le défilé avec des haut gradés, son épouse et sa fille. Le dirigeant nord-coréen cherche à la fois à s’adresser à sa population et au monde extérieur. L’idée est en effet de justifier les privations dont souffre la population pour que la Corée du Nord se dote de l’arme nucléaire et de montrer la puissance du pays. « Nos missiles sont prêts à remplir leur mission à tout moment sur ordre de notre dirigeant » a écrit la KCNA, l’agence de presse nord-coréenne. Le message du pouvoir vise à montrer que le pays est capable de se défendre face aux nombreuses menaces auxquelles il doit faire face, « bombe nucléaire pour bombe nucléaire, affrontement pour affrontement » selon les mots de la KCNA.
Le défilé du 8 février n’était pas le seul élément destiné à envoyer ce message au monde extérieur. La Corée du Nord a également annoncé le 7 février vouloir étendre et intensifier ses exercices militaires en vue de « la préparation à la guerre » selon les médias d’Etat. Cela fait suite à une réunion dirigée par Kim Jong-un le lundi 6 février. La KCNA a indiqué que l’objectif était notamment « l’élargissement et l’intensification constants des opérations et des exercices de combat de l’Armée populaire coréenne afin de strictement perfectionner la préparation à la guerre ».
Faire face aux « menaces »
Parmi les menaces dénoncées par la Corée du Nord figurent celles de son voisin sud-coréen et des Etats-Unis. Les deux pays ont récemment intensifié leurs exercices aériens et leur coopération dans le cadre d’une opération de sécurité face à la Corée du Nord. Ces manœuvres ont fortement fait réagir Pyongyang qui évoque « une ligne rouge extrême » franchie par les deux pays et le risque d’une invasion du territoire.
L’an passé, la Corée du Nord avait déjà mené un nombre record de tests d’armement. Son dirigeant a également manifesté sa volonté d’augmenter de manière « exponentielle » son arsenal militaire. Ces essais sont dans la continuité des efforts menés par le pays pour intensifier sa course aux armements. Celui-ci a augmenté les investissements militaires ainsi que ses efforts en ce qui concerne les essais nucléaires, les missiles de longue portée ou encore les missiles hypersoniques.
Parade militaire datant d’avril 2022.
Des illusions ?
Le pays reste l’un des seuls au monde à disposer de l’arme nucléaire. Ses ambitions semblent donc cohérentes à première vue. Celles-ci font parfois craindre une escalade de tensions, comme lorsque la Corée du Nord a tiré un missile en novembre 2022 qui a franchi la frontière maritime qui sépare les deux Corées.
Le message officiel a bien été envoyé mais qu’en est-il de la réalité ? Au sujet des missiles Hwasong-17, le ministère de la défense japonais estime qu’ils sont capables de parcourir plus de 15 000 kilomètres, ce qui mettrait une partie du monde à la portée de la Corée du Nord. De nombreux experts doutent cependant de la capacité du pays de réellement cibler de tels objectifs. Concernant les missiles hypersoniques, la Corée du Nord ne dispose pas non plus des moyens matériels et technologiques de les développer.
Il est nécessaire de ne pas surestimer la puissance nord-coréenne. Contrairement à ce qu’indique la propagande du régime, le développement économique ne suit pas le développement militaire. Là où la Corée du Sud s’est démocratisée et dispose du 12ème PIB mondial, la Corée du Nord est aujourd’hui le seul régime totalitaire du monde et rencontre des difficultés à nourrir sa population. La priorité du pays est donc l’aspect militaire, mais il ne fait pas le poids face à la puissance de la Corée du Sud, du Japon et des États-Unis.
Maintenir le régime
L’enjeu derrière la militarisation de la Corée du Nord est en réalité la survie du régime, comme l’indiquent de nombreux experts. En 2016, le directeur de l’IRIS Pascal Boniface écrivait dans le JDD que « si, au détriment du développement économique et de la satisfaction des besoins de la population, le régime a construit un arsenal nucléaire, c’est justement pour se sanctuariser : les dirigeants nord-coréens estiment que si Saddam Hussein ou Kadhafi avaient eu des armes nucléaires, ils seraient encore au pouvoir. » Sur le plan intérieur, ces armes permettent de montrer à la population la force du régime. Ce message est d’autant plus efficace dans la mesure où les Nord-Coréens n’ont accès qu’à peu d’informations et adhèrent donc plus facilement aux thèses du régime.
Selon le chercheur associé à l’IRIS Jean-Vincent Brisset, les essais menés par la Corée du Nord servent aussi de moyen de chantage. Il indique à TV5 Monde que « les Nord-Coréens ont la double nécessité du politique et de l’essai technique. Ils veulent continuer à faire progresser leur arsenal nucléaire, qui a une validité dissuasive tout à fait réelle. […] En plus, ça peut être un moyen de chantage. La Corée du Nord vit très largement du chantage. Leurs arguments peuvent être : « On arrête de faire des bêtises si vous nous donnez de l’énergie et de la nourriture ». Ils fonctionnent comme ça depuis 1994. […] Personne n’ose taper trop fort sur la Corée du Nord. C’est une nuisance qu’on essaye de gérer au minimum. »
Au sujet des menaces de la Corée du Nord, le maître de conférence à l’Université de Latrobe en Australie Benjamin Habib indique que « nous devrions garder en tête le fait que la rhétorique incendiaire est un outil de faiblesse, et non pas de force. La Corée du Nord est un pays pauvre, isolé et économiquement faible, entouré de pays plus grands, plus prospères, et avec des pouvoirs militaires plus sophistiqués. Son gouvernement a très peu de leviers à travers lesquels il peut assurer sa survie. » L’arme nucléaire ne représente donc pas un outil d’agressivité mais plutôt un outil défensif destiné à se protéger d’un environnement hostile. Benjamin Habib explique qu’une attaque venant de la Corée du Nord serait immédiatement synonyme d’escalade, et par conséquent de fin du régime.
Seul contre tous ?
S’il est vrai que le matériel militaire de la Corée du Nord s’accroît, il est donc indispensable de prendre en compte le contexte dans lequel celui-ci se développe. Cela est d’autant plus nécessaire lorsque l’on observe l’isolement du pays sur la scène internationale. Celui-ci s’explique par la fermeture des frontières, renforcée par la crise du Covid-19, mais aussi par l’échec des négociations avec ses voisins.
Dans le cas des Etats-Unis, Donald Trump s’était déplacé à Hanoi en 2019 mais les négociations s’étaient conclu par un échec et étaient marquées par un manque de préparation. L’administration Biden se dit aujourd’hui prête à les reprendre sans condition, même si elle ne voit pas le sujet comme une priorité. La Corée du Nord estime cependant que cette proposition ne tient pas si les Etats-Unis ne lèvent pas leurs sanctions. Elle attend un geste américain avant de reprendre le dialogue. Cette situation semble d’autant plus difficile dans la mesure où aucun agenda de négociations n’a été défini. Aucune des deux puissances n’est en réalité prête à accepter des concessions vis-à-vis de l’autre.

Hanoï (Viêt Nam), 27 février 2019. Le président américain Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un sont réunis pour un nouveau sommet. AFP/Saul LOEB
Du côté de la Corée du Sud, les relations avec son voisin du Nord s’était déjà refroidies pendant la présidence de Moon Jae-in et son successeur, le conservateur Yoon Seok-youl, est hostile à un rapprochement avec Pyongyang. La Corée du Sud a également développé son programme balistique ces dernières années, depuis que les Américains ont levé des restrictions sur leur développement imposées dans les années 1970. L’opinion publique sud-coréenne s’est aussi éloignée de l’idée d’un rapprochement avec la Corée du Nord.
Les deux Corées renforcent donc leurs armements mais la différence porte sur le fait que la Corée du Nord fait l’objet de sanctions tandis que ce n’est plus le cas de la Corée du Sud. Il existe aussi une asymétrie dans les armes conventionnelles (chars, fusées etc.) entre le Sud qui est bien plus développé que le Nord. Cela explique la nécessité pour Kim Jong-un de développer ses missiles, le nucléaire ou encore sa puissance dans le domaine du cyber.
L’isolement de la Corée du Nord est nuancé par le soutien au Conseil de sécurité de l’ONU de la Chine et de la Russie. Ce sont ces deux puissances qui n’ont cessé de protéger le pays et d’empêcher une action des Nations Unies. Les relations entre Pékin et Pyongyang sont relativement positives car la Corée du Nord est économiquement dépendante de la Chine et la Chine a intérêt à ne pas voir la Corée du Nord s’effondrer. Pyongyang soutient donc la Chine sur la scène internationale en critiquant « l’impérialisme américain » et en la soutenant sur la question de Taiwan.
Maintenir le status quo ?
La situation n’a finalement pas de raison d’évoluer. D’un côté, la Corée du Nord souhaite maintenir son isolement et une réunification des deux Corées serait synonyme de domination Sud-Coréenne. De l’autre côté, la Corée du Sud n’y a pas intérêt non plus dans la mesure où cela la pousserait à assumer un coût trop important pour son économie. Le pays se sert d’ailleurs parfois de la « menace nord-coréenne » pour demander plus d’armements à son allié américain. Mais les Etats-Unis profitent également de la situation dans la mesure où cela leur permet de justifier leur stationnement dans la région, tandis que la Chine considère qu’une réunification permettrait aux Américains d’avancer encore davantage. Enfin, le Japon craint qu’une réunification des deux Corées se fasse à son détriment.
Le status quo devrait donc durer, et cela au bénéfice de toutes les puissances. Ce sont cependant les Nord-Coréens qui subissent cette situation, en étant à la fois privés de libertés et d’une situation économique correcte.
Andrea Perez, étudiant en 2ème année à Sciences Po Lille
Sources utilisées :
- 5 assumptions we make about North Korea – and why they’re wrong, Latrobe University
- Corée du Nord – provoquer pour exister, France Culture
- Essais nucléaires : le bluff nord-coréen, Pascal Boniface
Comentários