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L’Inde, l’autre géant du continent asiatique ?

  • Andrea Perez
  • 1 févr. 2023
  • 5 min de lecture

Avec une économie et une démographie qui ne cessent de progresser, l’Inde cherche à s’affirmer comme un acteur de premier plan sur la scène internationale. Le pays dirigé par Narendra Modi compte pour cela sur sa stratégie du « multi-positionnement ».


Le 5ème PIB mondial


Le chiffre est symbolique. Un peu plus de 75 ans après avoir obtenu son indépendance, l’Inde a dépassé l’ancienne puissance coloniale britannique en terme de PIB. Elle se classe désormais au 5ème rang mondial – une progression de 10 places en 30 ans - derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne. Le pays pourrait même dépasser ces deux derniers d’ici quelques années. La progression de l’économie indienne devrait en effet se poursuivre : la croissance du PIB était de 6,8% en 2022 et devrait être de 6% en 2023.


Derrière ces chiffres, les facteurs sont nombreux. Le premier d’entre eux concerne la démographie, puisque le pays comptera bientôt 1,4 milliard d’habitants et dépassera ainsi la Chine en tant que pays le plus peuplé au monde. L’Inde fournit ainsi aux entreprises une main d’œuvre à bas prix et éduquée. Le taux d’alphabétisation de la population est de 92%, contre 60% il y a 30 ans. Cela permet également de fournir une élite compétente à la sortie de certaines grandes universités. Le pays a donc renforcé son attractivité comme le montrent l’exemple d’Apple qui produira l’iPhone 14 en Inde, le contrat aéronautique entre les industriels Airbus et Tata ou encore son nouveau rang de premier pays producteur de vaccins.


Un acteur de premier plan


Cette progression économique a des conséquences au niveau géopolitique. Depuis son indépendance, la position de l’Inde sur la scène internationale est marquée par une forme de continuité. Celle-ci se retrouve dans la volonté de repenser le système international et de faire de l’Inde une puissance de premier plan. Après la conférence de Bandung de 1955, le pays alors dirigé par Nehru s’affirmait comme l’un des leaders du mouvement des « non alignés ». L’objectif était de remettre en cause le système des deux blocs pendant la Guerre froide et d’encourager la formation d’un « nouvel ordre économique mondial » avec des échanges Nord/Sud plus équilibrés.


Aujourd’hui, l’Inde souhaite devenir « l’un des pays leaders » du monde, si l’on en croît les propos du ministre des affaires étrangères Jaishankar Subrahmanyam. Si elle fait toujours partie des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, les 5 principaux pays émergents), elle cherche à faire entendre sa voix auprès des grandes puissances. Membre du Conseil de sécurité de l’ONU en 2021 et en 2022, elle a pris à partir de décembre la présidence du G20. En septembre aura lieu un sommet à New Dehli avec les autres membres.


Le nationalisme n’a donc jamais quitté le pays. Il s’incarne aujourd’hui dans la figure du premier ministre Narendra Modi, chef de la droite hindoue nationaliste au pouvoir depuis 2014. L’Inde a cependant changé de position. Celle qui est désormais une puissance atomique s’est notamment rapprochée du camp occidental à partir de 2006 et de la signature d’un accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis. L’idée de non-alignement marquée par une certaine tonalité morale a de plus laissé place à des objectifs de puissance. Narendra Modi a pour objectif de positionner l’Inde comme un intermédiaire entre l’Occident, la Russie et la Chine. Or, la puissance économique du pays lui permet d’être écoutée au niveau international.


Le ministre des affaires étrangères Jaishankar Subrahmanyam promeut l’attitude du « multi-alignement », c’est-à-dire la capacité de dialoguer avec tous les acteurs internationaux, ce qui permet de servir au mieux les intérêts du pays. Ceux-ci correspondraient donc moins à des alliés qu’à de simples partenaires. L’Inde est ainsi à la fois membre de l’alliance Quad (Dialogue quadrilatéral pour la sécurité) avec les Etats-Unis, le Japon et l’Australie et de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS, organisation visant à gérer les questions sécuritaires en Asie centrale) avec la Russie et la Chine. La Russie est d’ailleurs le principal fournisseur d’armes de l’Inde ces dernières années, à l’exception de l’année 2022 qui a vu la France assumer ce rôle en raison de la vente de plusieurs Rafales et de sous-marins.


De nombreuses limites


Les objectifs de l’Inde se heurtent toutefois à de nombreuses limites, tout d’abord au niveau économique. La progression du PIB ne profite pas à l’ensemble de la population. Les inégalités sont très fortes dans le pays : les 100 personnes les plus riches possèdent autant que les 600 millions les plus pauvres. L’Inde reste en réalité un pays pauvre, avec un PIB par habitant de seulement 2 000 dollars par an. Elle se situe de ce point de vue-là au même niveau que des pays comme le Bangladesh ou l’Ouzbékistan. A titre de comparaison, ce chiffre s’élève à 11 000 dans le cas de la Chine. Or, la situation économique de la population ne s’améliore pas. La crise du Covid-19 a fait passer 71 millions de personnes en plus sous le seuil de pauvreté, le chômage augmente et les salaires sont en baisse.


Une autre grande limite est celle de la démocratie. La tendance à l’illibéralisme ne cesse de s’affirmer avec Narendra Modi. Les opposants dénoncent notamment les limites à l’indépendance de la justice et à la liberté de la presse. Les « violences contre les journalistes, la concentration des médias, l’alignement politique » font de l’Inde le 150ème pays sur 180 dans le classement annuel de l’ONG Reporters Sans Frontières. La remise en cause du système de laïcité indien mis en place depuis l’indépendance est également une menace pour les minorités, notamment pour les musulmans qui représentent 200 millions d’habitants.


Enfin, l’Inde ne parvient pas à conjuguer croissance économique et lutte contre le changement climatique. Elle est le 3ème pays plus grand émetteur de CO2 derrière la Chine et les Etats-Unis et est très dépendante du charbon. La production locale de charbon en Inde a progressé ces dernières années, de 6,3% en 2021 et de 11% en 2022 pour atteindre 893 millions de tonnes. C’est sur cette source d’énergie que le pays compte pour faire face à la hausse de la demande en électricité prévue pour la fin d’année.


Les limites aux ambitions indiennes sont donc présentes au niveau intérieur mais également au niveau extérieur. L’idée de devenir un leader mondial se heurte tout d’abord au fait que les pays du Sud ne soutiennent pas unanimement l’Inde même si ils peuvent partager des positions communes. Le pays entretient également des relations conflictuelles avec deux de ses voisins, le Pakistan et la Chine. Le premier conflit est lié à la controverse territoriale autour de la région du Cachemire que l’Inde revendique en entier tandis que le Pakistan en revendique une autre partie, tout comme la Chine. Les tensions se sont renforcées depuis l’arrivée au pouvoir de Modi qui accuse le Pakistan d’alimenter le terrorisme et le séparatisme. Le second conflit est également lié aux frontières et à la volonté de la Chine de s’étendre dans l’Himalaya et dans l’Océan Indien, deux zones que l’Inde cherche elle aussi à contrôler.


Qu’attendre du pays ?


Sur le plan économique, la situation est incertaine. Certes, les chiffres prévoient une croissance continue de l’Inde mais la situation pourrait être bien plus difficile pour sa population.


Au niveau géopolitique ensuite, l’Inde profite de la situation actuelle. L’unité du front occidental face à la Russie et à la Chine permet au pays de proposer une troisième option sur la scène internationale. Le G20 pourrait ainsi lui servir de plateforme pour défendre cette position et de développer le « multi-alignement ». Pour la suite, la situation est également incertaine. D’un côté, le triangle Pékin-Moscou-New Dehli est complexe et pourrait provoquer un rapprochement de l’Inde du camp occidental et japonais. D’un autre côté, aux Nations Unies, le pays s’est abstenu du vote ayant pour but de condamner l’invasion de son partenaire russe en Ukraine. Le multi-alignement pourrait donc durer.


Andrea Perez, étudiant en 2ème année à Sciences Po Lille


Sources :

 
 
 

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