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Les élections russes de septembre : une consécration à demi-teinte du régime ?

  • laurademeulenaere
  • 19 sept. 2021
  • 7 min de lecture


Ces 17, 18 et 19 septembre, ce sont plus de 110 millions de citoyens russes qui sont attendus afin d’élire leur gouverneur, leur assemblée législative locale et leurs représentants à la Douma, la chambre basse du Parlement de la Fédération de Russie. Ces dernières sont cruciales : la Douma, dont l’entièreté des députés est renouvelée, dispose de nombreux pouvoirs depuis les amendements constitutionnels de l’été 2020 et les élections infrarégionales renouvellent les représentants des différents sujets de la Fédération russe – les sujets étant les équivalents des Etats américains ou des Lander allemands. Le Kremlin, ayant parfaitement connaissance des enjeux des élections de septembre, s’emploie depuis maintenant plus d’un an à museler l’opposition russe à tel point que l’issue de ces scrutins fait peu de doute.


Dès lors, il convient de s’intéresser à l’état de l’opposition politique en Russie et aux moyens employés par les autorités afin d’affaiblir cette dernière, tout en se demandant, finalement, si le parti au pouvoir dispose d’une véritable suprématie politique dans le pays.


Des élections complexes aux enjeux multiples


Les élections législatives russes se dérouleront le dimanche 19 septembre. Les électeurs sont appelés à renouveler l’ensemble des 450 sièges de la Douma. Pour cela, les électeurs disposent de deux votes : 225 sièges sont pourvus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans une circonscription et 225 sièges sont pourvus au scrutin proportionnel où le seuil électoral est de 5%. Ces élections ont lieu tous les six ans.


Parmi les 14 listes de partis inscrites pour les législatives, on retrouve les partis déjà présents lors de la législature précédente : Russie Unie, le parti du pouvoir, avec 343 sièges, le Parti Communiste de la fédération de Russie (KPRF) avec 42 sièges, le Parti libéral démocrate russe avec 39 sièges, Russie Juste avec 23 sièges et les partis Rodina et Plateforme civique avec un siège chacun.


Ces élections sont essentielles, tant les pouvoirs de la Douma se sont accrus avec la révision de la Constitution russe en 2020. Outre les attributs classiques d’une chambre basse – vote et contrôle de la loi, contrôle de l’action du gouvernement, initiative législative -, la Douma doit désormais approuver les choix du Président de la Fédération pour les postes de certains ministres et celui du Premier ministre. La révision constitutionnelle a instauré un réel processus d’investiture. Ainsi, le Président doit tenir compte de la sensibilité politique de la majorité parlementaire s’il ne veut pas bloquer le processus de désignation, ce qui le conduirait soit à céder face à la Douma, soit à la dissoudre et convoquer de nouvelles élections. Le parti majoritaire à la Douma, aujourd’hui Russie Unie, peut donc s’il le souhaite s’opposer à la politique menée par le Président.


En parallèle de ces élections législatives, se dérouleront du 17 au 19 septembre des élections infranationales visant à renouveler les exécutifs et législatifs de certains sujets fédéraux russes. Les électeurs russes sont appelés à renouveler leur gouverneur dans 9 sujets et leur assemblée dans 39 sujets. Ces élections, en général boudées par les électeurs, avec un taux de participation avoisinant les 35-40% maximum, sont pourtant importantes, au regard des compétences des sujets de la Fédération de Russie. Comme le dispose la Constitution russe, relèvent de la compétence des sujets les questions de santé, d’éducation, la protection de l’environnement ou encore le développement économique.


Si les enjeux des élections de septembre sont grands, tant pour les citoyens russes que pour les différents partis politiques, les résultats des scrutins eux, ne font aucun doute. Russie Unie dispose d’une avance considérable dans les sondages, oscillant entre 25 et 30% des intentions de vote, alors que son concurrent principal, le KPRK peine à atteindre les 15%.


Une opposition affaiblie et entravée par le pouvoir


Si Russie Unie est largement favorite lors de ces élections, cela s’explique en grande partie par l’affaiblissement continu de l’opposition politique depuis plus d’un an. En effet, le pouvoir en Russie cherche à diminuer l’importance de cette dernière, à limiter son accès aux différents médias, ou à la combattre avec des moyens juridiques de plus en plus poussés.


A la suite de la tentative d’assassinat de l’opposant Alexeï A. Navalny et des manifestations qui ont suivi, la Russie a adopté une série de mesures afin de restreindre les activités de l’opposition. En décembre 2020, le Parlement a adopté une série de lois qui permettent de désigner comme “agents de l’étranger” tout individu ou organisation engagés en politique et qui reçoit des financements étrangers. Une fois reconnue comme « agent de l’étranger », une personne ou une association doit se soumettre à de nombreuses contraintes afin de maintenir ses activités. De plus, le 2 juin dernier a été adoptée une loi interdisant aux citoyens impliqués dans une organisation désignée comme « extrémiste » de se présenter aux élections. Ici encore, la définition d’une organisation extrémiste est assez floue et permet à l’Etat de regrouper de nombreux partis et mouvements d’opposition. Ceci a permis de classer comme extrémistes les nombreux partis d’opposition qui ont fleuri ces dernières années en Russie afin de capitaliser sur l’impopularité grandissante de Russie Unie, du gouvernement et de Vladimir V. Poutine. Ainsi, de nombreux partis n’ont pu se présenter aux élections législatives et infranationales de septembre, ce qui risque d’aggraver l’abstention et de saper la légitimité électorale de ces élections.


Ces contraintes législatives ne se limitent pas qu’aux partis et mouvements politiques. De nombreuses associations, ONG et médias se sont vus désignés comme « agents de l’étranger » ou comme « extrémistes » par le pouvoir. C’est le cas de l’ONG Golos, chargée de la surveillance des élections et de la défense des droits des électeurs et qui est considérée comme « agent de l’étranger » depuis le 18 août 2021. Cette qualification va restreindre drastiquement ses activités en vue des élections de septembre alors qu’aucun observateur de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ne serait présent en Russie. En parallèle, de nombreux médias ont été pris pour cible : les médias Meduza et Radio Free Europe-Radio Liberty ont été classés comme « agents de l’étranger » ce qui les expose à de lourdes amendes, le média indépendant VTimes a annoncé sa fermeture le 12 juin et l’accès à deux médias en ligne de l’ex-oligarque en exil Mikhaïl B. Khodorkovski a été bloqué début août.


A ces contraintes légales s’ajoutent de nombreux obstacles de procédure pour les différents partis souhaitant s’inscrire aux élections. Pour être candidat dans une circonscription, il faut recueillir 4.000 signatures d’électeurs. Si cette tâche semble relativement simple pour les candidats adoubés par le régime, elle devient beaucoup plus ardue pour les partis d’opposition. De nombreux témoignages font part du refus des autorités de valider une candidature pour une adresse ou un nom mal orthographiés, des ratures ou d’autres détails.


En outre, un phénomène remontant aux débuts des années 1990 est réapparu en amont des élections de septembre. Ce que le journal russe Gazeta nomme « l’attaque des clones » correspond à une pratique visant à présenter dans des circonscriptions des candidats ayant un nom semblable à un candidat membre de l’opposition. En guise d’exemple, dans la circonscription 216 à Saint Pétersbourg, on trouve Boris Lazarevitch Vichnievski, figure bien connue de l’opposition, Boris Ivanovitch Vichnievski, des verts et Boris Guennadievitch Vichnievski, un indépendant. Ces deux dernières figures sont des inconnus de la scène politique car ils ont changé de nom avant le scrutin afin de capter des voix. Cette pratique est assez généralisée, on retrouve ces « clones » dans 24 des 225 circonscriptions. De plus, ces derniers parviennent sans soucis à recueillir les 4.000 signatures nécessaires à leur candidature.


Avec une opposition affaiblie et accablée de multiples contraintes, la victoire de Russie Unie et de son président Dmitri A. Medvedev semble assurée. Cependant, cette suprématie exercée par le parti du pouvoir ne saurait cacher les nombreuses limites à cette dernière.


Une suprématie politique indiscutable de Russie Unie ?


La victoire annoncée de Russie Unie masque mal l’impopularité du parti en Russie. Malgré tous les efforts des autorités, les sondages ne donnent à Russie Unie que 25 à 30% des intentions de vote. Le gouvernement et le Président eux-mêmes souffrent de cette impopularité grandissante : en août, selon le centre Levada, 46% des Russes soutiennent l’action du gouvernement, contre 51% en mai ; de même, 61% des Russes soutiennent l’action du Président alors qu’ils étaient 66% en juin et 69% en août 2020.


Le gouvernement paie ici, en partie, sa mauvaise gestion de la crise sanitaire. Le nombre de morts journalier n’a jamais été aussi élevé depuis le début de l’épidémie, avec 800 morts par jour en août et environ 20.000 cas. Malgré le développement d’un vaccin russe, le Sputnik V, le gouvernement ne parvient pas à convaincre la population d’aller se faire vacciner : au 29 août, seul 24.8 % de la population était totalement vaccinée.


Ce phénomène pourrait bénéficier, dans les urnes, aux partis de l’opposition tolérés par le pouvoir, dont le premier est le KPRF. En effet, le parti communiste, s’il n’est plus aussi puissant que dans les années 1990, reste la première force d’opposition à Vladimir V. Poutine et à Russie Unie. Avec de nombreux candidats et partis de l’opposition empêchés de se présenter, le KPRF pourrait bénéficier d’un « vote utile » contre Russie Unie. De plus, des figures de l’opposition comme Navalny ont déjà appelé à de nombreuses reprises à faire barrage aux candidats du Kremlin lors d’élections précédentes. Cette hypothèse a déjà été prise en compte par le pouvoir : le parti communiste est ainsi la première victime des candidats « clones ».


Enfin, Russie Unie souffre d’un problème structurel dû au régime en lui-même. Comme en France, la figure présidentielle est centrale dans le système russe. Poutine concentre autour de sa personne toutes les critiques et l’admiration, laissant peu de place pour l’émergence d’autres personnalités politiques au sein du parti. Dmitri A. Medvedev, président du parti, est relativement impopulaire, le Premier ministre, Mikhaïl V. Michoustine reste un inconnu pour la majorité de la population et les différents candidats de Russie Unie peinent à se faire connaitre dans leur circonscription.


Ainsi, Russie Unie ne doit sa suprématie politique qu’à Vladimir V. Poutine : c’est lui qui, dans les faits, détermine la politique du pays, nomme des fidèles aux postes-clés du gouvernement et du parti et c’est pour lui, et non pour le parti, que les électeurs votent aux élections. La victoire annoncée de Russie Unie en septembre sera donc la victoire d’un homme, au pouvoir en Russie depuis 21 ans et pouvant y rester jusqu’en 2036, et dont le parti a été fondé pour le soutenir.


Lucas Keller, étudiant à Sciences Po Lille en master APEU (Affaires publiques européennes)






 
 
 

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