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Manifestations en Chine – Des feuilles blanches qui valent mille mots ?

  • Andrea Perez
  • 6 déc. 2022
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 déc. 2022

Des manifestations contre la politique Zéro Covid de la Chine ont éclaté ce samedi 26 novembre. Le mouvement a depuis pris de l’ampleur et oblige le régime de Xi Jinping à réagir. Les internautes essayent aussi de se rassembler en ligne pour protester.


Le Covid comme élément déclencheur


Un incendie dans un immeuble d’Urumqi dans le nord-ouest de la Chine a été la goutte d’eau qui a fait débordé le vase. Celui-ci a fait 10 morts et 9 blessés selon l’agence Chine nouvelle. L’une des raisons de ce drame a été la difficulté des pompiers à intervenir en raison des mesures de confinement auxquelles était soumis l’immeuble. Cet évènement, ajouté aux autres drames liés à la politique du Zéro Covid – rapportés par CNN -, les promesses non tenues par le régime sur la levée des restrictions et les images des stades pleins au Qatar ont contribué à renforcer la frustration des Chinois.


Depuis le samedi 26 novembre, des dizaines de milliers de Chinois manifestent leur colère contre la politique du Zéro Covid du gouvernement. De nombreuses villes sont concernées dont Urumqi mais aussi Shanghai, Pékin, Nankin, Canton, Zhengzhou, Wuhan ou encore Chengdu. En cause, des tests, des mois de confinement, des manquements dans la politique de vaccination et des restrictions qui touchent le tiers de la population. Le mécontentement s’est ensuite élargi. A Zhengzhou par exemple, les ouvriers d’une usine du sous-traitant d’Apple Foxconn se sont rebellés. Ils dénoncent à la fois leurs primes non versées, leurs conditions de vie et de travail et la politique Zéro Covid. Ces réactions ne se sont toutefois pas limitées à la dénonciation de la politique sanitaire du régime, mais s’étendent à la dénonciation du régime même. Des slogans comme « Xi Jinping, démission » se font entendre dans les rues.


Une première depuis 1989


De tels évènements sont rares en Chine puisque les protestations contre le régime sont sources de graves risques pour les individus. La Chine n’avait pas connu cette situation depuis les manifestations de Tiananmen de 1989. Elle est inédite par son ampleur et sa cible car elle est présente dans l’ensemble du pays, portée par toutes les couches de la société et est presque unique par ses revendications contre le régime, le Parti communiste chinois (PCC) et Xi Jinping. Des manifestations ont régulièrement lieu en Chine mais elles concernent en général une cause locale et ne visent pas le cœur du régime.


La comparaison avec Tiananmen a ses limites. Les revendications actuelles sont moins précises et ne se sont pas organisées autour de demandes comme celle de démocratie. Elles se fondent davantage autour d’un ras-le-bol général et le contexte est aussi différent. Les années 1980 étaient marquées par une libéralisation de l’économie tandis que la Chine est aujourd’hui dans un contexte de ralentissement économique et de raidissement idéologique. Les étudiants sont aussi mobilisés et demandent plus de libertés mais les manifestations en Chine ne sont pas un évènement unique. Le mouvement actuel a tout de même de l’importance car il touche l’une des sources de stabilité du régime chinois. Celle-ci se fonde sur un contrat social implicite avec la population - moins de libertés en échange d’une amélioration des conditions de vie – qui semble remis en cause.


Police, censure et innovation


Les outils traditionnels du régime pour faire face à la foule n’ont donc pas suffi. Les primes offertes aux ouvriers de l’usine Foxconn ou encore la promesse d’une levée par phase du confinement à Urumqi n’ont pas permis de mettre fin aux manifestations. Les autorités, qui assurent la « réussite » de la lutte contre le Covid, ont donc recours à des moyens plus directs. Les journalistes de l’AFP ont ainsi reporté une présence policière dans les rues de Pékin et de Shanghai avec des palissades, des voitures de police et des agents. Certains d’entre eux ont procédé à des arrestations. La BBC a également indiqué qu’un de ses journalistes a été arrêté et « frappé par la police » à Shanghai.


Là encore, la population a réagi en essayant de trouver d’autres moyens d’expression. De nombreux manifestants ont brandi des feuilles de papier blanc afin de dénoncer le manque de liberté d’expression. « C’est aussi une réponse aux autorités, comme pour dire « Allez-vous m’arrêter parce que je tiens une pancarte ne disant rien ? » » explique ainsi le correspondant de la BBC Stephen McDonell sur Twitter. La réponse semble être positive puisqu’une vidéo de l’agence de presse Reuters montre les forces de l’ordre chinoises s’emparer des feuilles et arrêter ceux qui les brandissent. L’ironie est une autre arme utilisée par les manifestants comme à Pékin où la foule a scandé des slogans comme « Je veux faire des tests pour le Covid, je veux scanner mon QR code ». Certains ont recours aux équations de Friedmann. Le nom du physicien et mathématicien sert à rappeler le terme « free man » (« homme libre » en anglais).

La mobilisation est également présente en ligne. Sur WeChat, le principal réseau social chinois, des utilisateurs ont publié des carrés blancs sur leur profil. Les internautes utilisent aussi les jeux de mots, avec des termes comme « peau de banane » et « mousse de crevette ». Cela sert à indiquer « Xi Jinping démission » car le premier terme a les mêmes initiales que le nom du Président et le second a une sonorité proche de « démission » en chinois. Les images de la Coupe du Monde au Qatar ont également été détournées pour les lier aux restrictions contre le Covid.


Pour faire face à cette situation, la censure du régime est active. Celle-ci touche tout d’abord les médias d’Etat, qui ne couvrent pas les manifestations. Les sujets traités ces derniers jours étaient plutôt en lien avec des actualités optimistes comme les succès de la Chine en matière spatiale. Comme l’explique la BBC, les médias d’Etat pourraient toutefois façonner un récit selon lequel les étrangers sont responsables des scènes d’agitation. Ils avaient déjà adopté cette stratégie en 2019 à l’occasion des protestations à Hong Kong. Les médias chinois dénonçaient alors un supposé extrémisme influencé par l’Occident. La censure concerne même les images des spectateurs de la Coupe du Monde au Qatar. Comme l’indique le correspondant de France 24 à Shanghai Antoine Morel sur Twitter, les gros plans sur les supporters sans masque sont coupés par la télévision chinoise. Ils sont par exemple remplacés par des plans sur les entraîneurs ou des plans larges sur le terrain.

Le régime s’attaque aussi aux réseaux sociaux chinois, sur lesquels les images et les informations en lien avec les manifestations ont été supprimées. Les termes en lien avec ces évènements comme « Shanghai » ou « Urumqi » ne donnaient quasiment plus de résultat sur Weibo, équivalent de Twitter en Chine. C’est aussi le cas des mots « papier blanc » et « A4 ». Les internautes ont donc une nouvelle fois cherché à faire indirectement référence à ces termes. Ils évoquent par exemple les feuilles « A3 » ou le « A4 minceur challenge ».


Malgré ce contrôle, certains internautes essayent d’échapper à la censure en publiant du contenu sur les réseaux sociaux étrangers comme Twitter et Facebook. Bien que ces médias soient bloqués en Chine, ils peuvent être accessibles avec un VPN (Virtual Private Network) et à l’étranger.


Entre cybercensure et influence extérieure


Le régime dispose d’autres moyens si la situation venait à prendre encore de l’ampleur. Il pourrait par exemple rendre internet inaccessible, comme cela avait été fait lors des émeutes au Xinjiang en 2009, ou couper les connexions téléphoniques.


De façon générale, la situation actuelle est un exemple révélateur de l’emprise du régime sur les moyens d’expression. Le modèle chinois de contrôle des médias comporte deux facettes distinctes, la première au niveau national et la seconde au niveau international. Le 12 mars 2021, l’ONG Reporters sans frontières (RSF) dévoilait « des chiffres qui montrent que la Chine atteint des niveaux sans précédent en matière de cybercensure » : 6,6 milliards de dollars dépensés en cybercensure en 2020, 2 millions de personnes travaillant pour le système de cyberespionnage chinois en 2013, 130 000 comptes de réseaux sociaux et 12 000 sites fermés par le gouvernement… Des milliers de mots-clés sont aussi bloqués. Toutes ces mesures permettent au gouvernement de Xi Jinping de taire les critiques.


Sur le plan extérieur ensuite, les réseaux sociaux servent d’outil d’influence. Une étude du Centre for Information Resilience de 2021 indiquait ainsi l’existence de centaines de faux profils sur les réseaux sociaux destinés à discréditer les personnes considérées comme des opposants du gouvernement chinois. L’objectif est de diffuser des récits similaires à ceux défendus par la Chine. Ils sont par exemple utilisés pour s’attaquer aux Etats-Unis ou encore nier le génocide des Ouïghours dans le Xinjiang. Les officiels du gouvernement chinois participent à la diffusion de la rhétorique du PCC. Cela correspond à la « Wolf Warrior Diplomacy » (Diplomatie du loup guerrier).


Et maintenant ?


La réponse policière pourrait se renforcer si les manifestations se poursuivent, y compris avec une action de la Police armée du peuple, l’une des trois branches des forces armées chinoises. Dans ce cas, le résultat pourrait toutefois être l’inverse de celui recherché par le régime et accentuer la colère des manifestants. Un renforcement de la censure dans les médias et sur les réseaux sociaux serait donc plus logique, comme l’indique le magazine Foreign Policy.


La réponse se situe-t-elle au cœur de ce qui a été à l’origine des manifestations, la politique Zéro Covid ? Des allègements des mesures sont possibles mais le système de santé chinois ne permet pas au gouvernement de lever les restrictions. Les taux de vaccination sont trop faibles, les vaccins ne sont pas assez efficaces, les hôpitaux manquent de lits… La situation semble donc bloquée car une levée des restrictions entrainerait sans doute des conséquences dramatiques. Le gouvernement chinois a répondu sur ce point en accélérant la vaccination des personnes âgées. Il semble cependant peu probable que cela suffise à calmer la colère des manifestants au vu de l’augmentation du nombre de confinements le mois dernier et du caractère encore stricte des restrictions.


Mise à jour du 7 décembre 2022 :

Pékin a annoncé ce mercredi un nouvel assouplissement des règles sanitaires dans l’ensemble du pays. Celui-ci autorise certains cas positifs à effectuer leur quarantaine à domicile et non pas dans un centre dédié comme c’était le cas jusque-là. Le recours aux tests PCR – auparavant de plusieurs fois par semaine - est réduit, tout comme le recours aux confinements. Les cours continueront aussi normalement dans les écoles sans foyer de cas. Dans un contexte délicat pour l’économie chinoise en raison de la politique du « zéro Covid », le gouvernement doit maintenant trouver un équilibre entre croissance et contrôle de la pandémie.



Andrea Perez, étudiant en 2ème année à Sciences Po Lille

 
 
 

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