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Mémoire et géopolitique, le Japon de Suga face à la Chine

  • laurademeulenaere
  • 26 janv. 2022
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 févr. 2022


En septembre 2020, l’élection de Yoshihide Suga au poste de Premier ministre du Japon a provoqué une vague d’engouement chez le voisin Chinois, qui espère alors un apaisement des tensions entre les deux pays. Pourtant, un an et demi et un nouveau premier ministre plus tard, la méfiance et les a priori continuent d’empoisonner les relations sino-japonaises. Car un contentieux de taille oppose encore et toujours les deux pays :la question mémorielle. Le poids de l'impérialisme Japonais au XXème siècle

En 1931, le Japon impérial envahit la Manchourie. Il déclare officiellement la guerre à la Chine en 1937, un conflit qui ne finira qu’en septembre 1945, après que les États-Unis eussent mit un point final à la politique impérialiste du Japon par les frappes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Mais la dynastie Shôwa a eu le temps de faire des dégâts sur la côte voisine : 3,9 millions de victimes chinoises, la plupart civiles, une politique de la terre brûlée consistant à voler, torturer, violer, tuer quiconque n’est pas japonais. Les femmes chinoises et coréennes furent utilisées comme « femmes de réconfort » pour les soldats japonais, qui organisèrent un véritable réseau de prostitution forcée. L’Empereur autorisa l’utilisation des armes chimiques sur la Chine, tout comme les expérimentations biologiques effectuées par l’Unité 731 en Manchourie. Cette division de l’armée Japonaise pratiqua des vivisections sans anesthésie sur des captifs chinois, notamment en faisant geler les membres des prisonniers avant de les briser, pour étudier la solidité des os et des muscles. À Nanjing en 1937, 260 000 civils et prisonniers de guerre chinois furent massacrés, la plupart des femmes violées. C’est la plus grande tuerie de masse de cette guerre du côté pacifique, et une plaie encore ouverte dans la mémoire chinoise.

Révisionnisme japonais

Cette plaie mémorielle, les gouvernements successifs du PLD japonais n’ont cessé de l’entretenir. Le parti conservateur au pouvoir depuis 1953 ne s’est jamais officiellement excusé, faute de volonté et de besoin politique. Au final, qui sait ce qui s’est vraiment passé à Nanjing ? Où sont les chiffres ? Peut-on faire confiance à l’historiographie Chinoise contemporaine ? C’est le discours d’un groupe d’influence parmi les plus puissants de l’archipel, le Nippon Kaigi (« La Conférence du Japon »). Ce mouvement politique conservateur et révisionniste, niant toute exaction de l’armée impériale et nostalgique du Japon impérialiste d’avant-guerre, s’illustre dans le débat politique Japonais comme un Think Tank à l’influence inégalé. Il est fort de 38 000 membres, dont les anciennes têtes de l'État Taro Aso et Shinzo Abe, treize ministres du gouvernement Abe II, ainsi que le précédent chef du gouvernement Yoshihide Suga. Le nouveau Premier ministre, Fumio Kishida, doit également son ascension politique à Shinzo Abe et se place donc dans l’orbite du Nippon Kaigi. Influente même au sein du puissant PLD, La Conférence dicte l’ordre du jour japonais, proposant depuis 1997 de réécrire les livres d’Histoire scolaires, pour y effacer ou diminuer la somme des atrocités. D’ailleurs, plusieurs Premiers ministres, dont Shinzo Abe, ont régulièrement honoré les soldats tombés pour l’Empire au temple de Yasukuni, où sont honorés 1068 condamnés pour crimes de guerre au Procès de Tokyo.


Shinzo Abe (au pouvoir entre 2006 et 2020) a en réalité fait du révisionnisme le fil conducteur de sa politique intérieure comme extérieure. Petit-fils du premier ministre Nobusuke Kishi (1957-1960), surnommé le « monstre de l’ère Shôwa »,Abe a œuvré pour la remilitarisation du pays, interdite par la Constitution de 1953. Il alerte dans ses discours sur la situation précaire de l’archipel face à la Chine communiste, la Corée du Nord et la Russie, et donc la nécessité de pouvoir se protéger. Si le Japon ne peut constitutionnellement pas s’engager dans un conflit ou se doter d'une force d’attaque, elle dispose tout de même d’une armée d’autodéfense en cas d’agression. En 2018, son budget s’élève à 46,6 milliards de dollars, le neuvième budget militaire du monde. On est bien loin de la « Constitution pacifique » et des sanctions contre un pays jugé coupable de crimes contre l’humanité. De par un discours sur l’état de la menace, le Japon cherche à faire oublier que, contrairement à l’Allemagne, il n’a jamais fait acte de rédemption. Au contraire, révisionnisme et militarisme ont crispé le débat public dans un discours victimaire, sous danger permanent. D’où la nécessité de se recroqueviller sur une « identité nationale Japonaise » niant tout multiculturalisme, dans une logique d’État ethno-nationaliste.


Règlements de comptes


Depuis 2017 et l’élection de Donald Trump, un « partenariat par défaut » s’était installé entre Abe, qui a alors perdu confiance dans la volonté des Américains de défendre l’archipel en cas d’attaque, et la Chine de Xi Jin Ping. La diplomatie Trumpienne, agressive, usant de pressions économiques sur ses alliés, a en effet conduit le Japon à chercherseul de la stabilité dans la région. Le Premier ministre propose en 2018 à la Chine de passer « de la compétition à la collaboration », signant au passage des accords commerciaux historiques. Les deux voisins essaient même de régler cette question mémorielle, à coups de commissions universitaires bipartites, pour faire émerger une historiographie commune.


L’élection de Joe Biden en 2020 a balayé en grande partie cette dynamique, pour le meilleur du monde libre, et pour le pire des relations sino-japonaises. Le président démocrate a démontré sa volonté de s’appuyer sur ses alliés du pacifique pour prévenir la menace chinoise. Le 16 avril 2021, les deux leaders ont dénoncé conjointement les crimes contre l’humanité de la Chine communiste au Xinjiang et à Hong Kong, insistant sur les dangers d’une Chine prédatrice pour la région et pour le monde. Les réunions du Quad (Inde, Japon, Australie, États-Unis) fin septembre s’inscrivent dans cette même volonté de dialogue renoué.


Paradoxalement, maintenant que le Japon n’est plus isolé en Asie, il semble avoir évacué à nouveau la question mémorielle de l’agenda politique japonais. Au contraire, le soutien américain lui permet d’insister sur la menace chinoise, réelle dans la géopolitique concrète, mais renverse aussi le discours victimaire dans le cadre mémoriel. Par pragmatisme géopolitique, les alliées du Japon ont depuis longtemps fait le choix d’occulter collectivement la question des crimes de guerre Japonais commis en Chine, d’abord dans une optique d’alliance face au bloc soviétique, et aujourd’hui face la Chine de Xi Jinping. Le révisionnisme japonais et le militarisme latent qui en découle ne présagent d’aucun apaisement dans un climat est-asiatique plus tendu que jamais.


Julien Beauvois, étudiant à Sciences Po Lille en master Analyse des Sociétés Contemporaines




Pour aller plus loin : « Memorial Debates about Japan war crimes during the occupation of China (1937-1945) »


 
 
 

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