Point de Repère : Le Cachemire, foyer des tensions indo-pakistanaises
- laurademeulenaere
- 17 nov. 2021
- 4 min de lecture

Une zone de conflits au cœur de l’Himalaya
Une région à la ‘’beauté enchanteresse, semblable à celle du lotus’ [1] c’est par ces mots empreints de poésie qu’est évoqué le Cachemire dans l’émission Voyage sans passeport d’Irène Chaigneau en 1959. Si le Cachemire est un parangon de quiétude de par sa nature, il n’en demeure pas moins une zone troublée, où les conflits font rage depuis au moins quatre-vingt ans [2]. Pour poser quelques repères géographiques, le Cachemire est une région montagneuse, nichée dans la partie ouest de l’Himalaya, à l’extrême-nord du sous-continent indien et dont les contreforts rocheux sont partagés entre l’Union Indienne et la République Islamique du Pakistan. En effet, le Cachemire constitue l’une des manifestations, si ce n’est la source originelle des tensions indo-pakistanaises. Plusieurs raisons historiques concourent à cet état de fait.

Aux origines de la discorde
Avant l’indépendance indienne de 1947, le Cachemire était un état princier, majoritairement peuplé de musulmans mais gouverné par un souverain hindou [un raj]. Les Kashmiris furent persécutés et les révoltes sporadiques écrasées par le pouvoir hindou. Le ressentiment des musulmans naquit en cette occasion, et le prisme religieux reste encore aujourd’hui la principale matrice des problèmes régionaux. En 1949, deux ans après que le sous-continent eut chèrement acquis son indépendance, le Cachemire fut partagé entre les deux pays, à l’aide d’une Line of Control qui ne respectait aucune frontière ethnico-religieuse, tracée sans prise en compte de la complexité des enjeux par les autorités britanniques. Le problème réside dans le droit international, qui dispose que l’auto-détermination des peuples [3] doit être respectée, vœu rendu impossible par les multiples obstructions à l’assemblée des Nations Unies de l’Inde et du Pakistan. Parmi les deux régions du Cachemire, ce n’est pas tant l’Azad Kashmir [région sous contrôle pakistanais] qui pose problème que le Jammu-et-Cachemire [indien] qui provoque d’incessantes dissensions
Une escalade des tensions nourrie par les deux puissances
Les prétentions des deux pays sur la région sont de natures différentes : le Pakistan, animé par une vision panislamiste, souhaite annexer le Cachemire indien, peuplé de nos jours d’environ 70% de musulmans [4]. L’Inde a quant à elle des prétentions sécularistes, visant à former en son sein une mosaïque ethnoculturelle dont le Cachemire ferait partie intégrante. Le Cachemire présente de plus des avantages notables, dont ses cultures vivrières et ses ressources hydrauliques, l’eau douce de ses glaciers constituant une richesse convoitée dans une région régulièrement soumise à la pression hydrique. Le refus par l’Inde de la tenue d’un référendum, associé à la mise au ban des politiques locaux musulmans, a cristallisé les tensions de manière brutale. Ainsi, les élections truquées de 1987, mettant au pouvoir les dignitaires du Parti du Congrès [5], ont fait prendre le maquis aux politiciens musulmans, soutenus en cela par le Pakistan. La fracture originelle de l’indépendance est encore ouverte, et nombre de Kashmiris ont choisi de s’allier au Pakistan et de s’armer auprès de ce dernier pour mener la ‘’résistance’’. En témoignent les attentats islamistes survenus dans les grandes villes kashmiries telles que Srinagar [6] et ayant radicalisé les deux parties. En conséquence, le Jammu-et-Cachemire a subi une perte d'autonomie constante et un désaveu de l’État indien à mesure que les actes d’allégeance au Pakistan voisin se multipliaient.
L’arrivée au pouvoir de Narendra Modi
Cette radicalisation sécessioniste d’une partie du peuple kashmiri a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir du Premier Ministre indien Narendra Modi, en 2014. Ce dernier, membre du parti BJP [droite nationaliste hindoue], ancien gouverneur du Gujarat et membre des RSS [7], n’a absolument pas cherché l’apaisement dans la zone. Au contraire, il a imposé au Cachemire des mesures drastiques, notamment un couvre-feu et des ruptures des réseaux téléphoniques et Internet, dans l’optique de prévenir les influences extérieures. Le point d’orgue de ce recul des droits des kashmiris a été la décision du 5 août 2019 consacrant l’abrogation du statut indépendant du Cachemire [8]. L’Inde fonctionnant selon un modèle fédéral, le Cachemire a ainsi perdu son Parlement sans même que la classe politique locale n’en soit alertée au préalable. De plus, les politiciens posant problème ont été assignés à résidence sans autre forme de procès.
Un avenir incertain sous le joug des nationalismes
L'intransigeance de la politique de Narendra Modi s'explique par sa doctrine nationaliste nommée Hindutva [9] [ou hindouïté] qui rend le lien entre foi hindouiste et sentiment d’appartenance à l’Inde obligatoire, excluant d’office les minorités pratiquant les religions abrahamiques, dont font partie les Kashmiris. Ce nationalisme pose problème aux musulmans du pays et nourrit des tensions religieuses déjà intenses [10]. Les premiers ministres des deux pays ne cessent de s’invectiver par médias interposés, et l’escalade ponctuelle des tensions peut poser question, l’Inde et le Pakistan étant tous deux des puissances nucléaires. La crise du Covid a de plus été l’occasion pour le Premier Ministre indien de faire appliquer un contrôle encore plus strict sur la région et sa population [11]. Les trois précédentes guerres indo-pakistanaises [1947,1965 et 1971] ainsi que les massacres et les déplacements de population postindépendance ne laissent pas présager d’une issue pacifique aux conflits, les affrontements à la frontière éclatant toujours de manière épisodique. Entre terrorisme hindou et sécessionnisme islamiste, le futur du Cachemire semble incertain, mais il est probable qu’il agitera encore le sous-continent pendant de longues années.
Elias Zafrane, étudiant à Sciences Po Lille en 2ème année
[3] cf. chapitre 1, article premier de la charte des Nations Unies : https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text
[5] Le parti du Congrès est le principal parti politique indien, fondé en 1885. Il s’agit du parti qui a permis l’indépendance de l’Inde et dont est issu Jawaharlal Nehru, qui était d’ailleurs kashmiri hindou.
[6] Sur l’attaque la plus meurtrière de ces dernières années : https://www.bbc.com/news/world-asia-india-47240660
[7] Le RSS [Rashtriya Swayamsevak Sangh] est un mouvement nationaliste et paramilitaire hindou fondé en 1925 à Nagpur, souvent classé comme étant d’extrême droite voire fascisant. Ce fut le parti de Nathuram Godse, l’assassin de Gandhi.
[8] https://harvardlawreview.org/2021/05/from-domicile-to-dominion-indias-settler-colonial-agenda-in-kashmir/
[9] Pour de plus amples informations concernant l’Hindutva : https://asialyst.com/fr/2016/07/04/l-hindutva-aux-origines-du-nationalisme-hindou/
[10] Racine J.-L., Inde : le nationalisme hindou au pouvoir : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2020-1-page-105.htm
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